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«Violer le droit, c’est violer la démocratie»

Photo: Yves Provencher/Métro

Dans son nouveau livre intitulé «La fin de l’État de droit?», l’avocat Frédéric Bérard recense des cas récents où les gouvernements du Québec et du Canada ont contourné ou bafoué la loi dans l’indifférence la plus totale. Il a discuté avec Métro de ce qui entraîne selon lui une érosion de notre État de droit, et par le fait même de notre démocratie.

Vous donnez plusieurs exemples des trois dernières années où des gouvernements ont violé les règles de droit ou fait fi des décisions des tribunaux. Lequel vous semble le plus éloquent?
Le livre contient une vingtaine d’exemples et je pourrais en faire un deuxième tome. S’il faut en choisir un, ce serait celui d’Omar Khadr. Il avait 15 ans lorsqu’il a été arrêté puis détenu à Guantanamo et le gouvernement Harper a longtemps refusé de le rapatrier. Les conventions internationales sur le droit de l’enfant ont été violées. Considéré comme terroriste, il n’a jamais eu de procès. Le Service canadien du renseignement de sécurité a envoyé deux agents à Guantanamo pour interroger Khadr sous la torture pour obtenir un aveu de culpabilité. La Cour suprême a statué que les droits constitutionnels à la sécurité et à la liberté de ce citoyen canadien ont été violés.

Voux donnez aussi l’exemple de la charte des valeurs…
Le Parti québécois veut adopter une loi tout en la sachant inconstitutionnelle. La charte québécoise des droits et libertés, la charte canadienne des droits et libertés et toute la jurisprudence sont claires à cet effet. Le Barreau du Québec et la Commission des droits de la personne l’ont d’ailleurs affirmé. Mais Bernard Drainville préfère écouter l’opinion de Janette Bertrand. À un dîner privé avec un ami, M. Drainville a dit: «Les tribunaux, on s’en sacre des tribunaux! Fini, le gouvernement des juges!». Je vais peut-être me faire poursuivre pour avoir écrit ça dans mon livre…

La charte des valeurs modifierait la charte québécoise des droits et libertés. Ça ne s’est jamais vu de la modifier sans l’unanimité des partis et surtout pas en passant par une loi ordinaire qui ne serait pas conforme à la charte québécoise! C’est dire qu’on peut la changer comme on le veut, au nom de la volonté de la majorité. Mais la charte québécoise est justement là notamment pour défendre les droits des minorités face à la majorité. Surtout en considérant que l’appui de la population peut être manipulé.

Pourquoi agir ainsi?
Pour des raisons politiques. Ce n’était pas payant politiquement pour les conservateurs de rapatrier Khadr. Même chose pour la charte des valeurs. Ça va aller devant les tribunaux, ça va prendre de trois à cinq ans avant d’avoir un jugement. Pendant ce temps, les péquistes auront fait tous leurs gains électoraux. «Un vote pour le PQ c’est un vote pour la charte», disent-ils. Que peut faire un juge si le gouvernement ne respecte pas l’une de ses décisions? Il ne peut pas envoyer la police, c’est le gouvernement qui la contrôle. L’État de droit est un système qui repose en grande partie sur la confiance.

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Quelles sont les conséquences de ces violations?
L’État de droit, c’est le principe qu’il n’y a qu’une seule loi pour tous. Il encadre le gouvernement pour qu’il tire sa puissance des règles de droit. Il fait en sorte que les policiers vous arrêtent à partir d’une règle de droit et non par une décision arbitraire. Tous les États démocratiques sérieux sont basés sur le respect du droit. Violer le droit, c’est violer la démocratie. Chacune des violations peut sembler banale, mais c’est à répétition que ça devient dangereux. Et j’ai le sentiment qu’il y en a plus qu’avant. J’en vois à chaque fois que j’ouvre le journal. La démocratie et les libertés civiles sont en péril.

Pourquoi les citoyens ne réagissent-ils pas?
Je blâme les élites politiques et médiatiques, qui ont une incompréhension et une méconnaissance de la règle de droit, ce qui fait qu’on ne parle jamais des tricheries sur l’État de droit. C’est vrai que ça peut être compliqué à comprendre et qu’il y a de l’éducation à faire. C’est d’ailleurs pour créer un débat sur le sujet que j’ai écrit ce livre.

Vous pointez aussi du doigt les médias, qui violent selon vous le principe de la présomption d’innocence. Pourquoi?
Un système de justice parallèle est créé par les médias, encore plus dommageable que les tribunaux. À la commission Charbonneau, tous les témoins sont condamnés à l’avance par le tribunal médiatique. Prenons l’exemple de Gérald Tremblay. Une déclaration de Martin Dumont, un organisateur obscur d’Union Montréal, lui a coûté son poste de maire de Montréal, même s’il n’a été à ce jour accusé de rien. Dumont a admis deux semaines plus tard qu’il avait menti.

Fin de letat droitLa fin de l’État de droit?
Frédéric Bérard
XYZ Éditeur
En librairie le 27 mars

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