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Non, je ne suis pas une chroniqueure

Je ne suis pas du genre à m’obstiner quand on me présente comme «chroniqueure», même si je trouve assez curieux qu’on me présente comme une «chroniqueure féministe». Parce que le terme, pour décrire une femme qui écrit des chroniques, existe. Pour info, c’est «chroniqueuse».

Certaines personnes ont horreur de ce terme. «Ouache! Ouache! Ouache! Ça sonne donc mal!». Personnellement, ce qui m’écorche les oreilles (et aussi un peu le cœur), c’est d’entendre une femme qui conduit fièrement des camions se décrire comme une «camionneure», ou qu’une femme qui a réussi à percer dans un milieu d’hommes tienne à inscrire son nom au générique à titre de «réalisateur».

Les appellations d’emploi ne sont pas féminisées aléatoirement au gré de si ça sonne bien ou pas à nos oreilles. Elles ont été forgées, au Québec et au Canada, par de longues discussions entre les différents organismes publics, parmi lesquels l’Office québécois de la langue française, dans le but de refléter une réalité qui se fait de plus en plus critique depuis les années 60 : les femmes travaillent. Et parmi les emplois qu’elles occupent se trouvent de plus en plus d’emplois autrefois réservés aux hommes.

L’argument principal des partisans du «eur» est qu’on ne dit pas «auteuse» ou «autrice», «docteuse» ou «doctrice». J’en conviens. «Auteuse», ça ne se dit pas et, probablement parce qu’on n’a pas l’habitude de l’entendre, force est d’admettre que ça sonne laid. Mais ce n’est pas parce qu’on a loupé dans l’histoire l’occasion de féminiser deux des professions les plus prestigieuses que l’on doit rejeter l’existence de termes féminins tout à fait adéquats pour décrire les travailleuse d’aujourd’hui, qui sont camionneuses, réalisatrices, chroniqueuses, acheteuses, femmes-grenouilles, mineuses, magistrates, lamineuses ou monteuses de lignes. La langue française étant ce qu’elle est, il existe quelques exceptions. Des «eur» qui virent en «eure» pour éviter que les ingénieures se sentent trop ingénieuses, et quelques vocables épicènes, comme pilote et dentiste. Pour le reste, c’est assez simple, au pire, apprenez celui qui vous concerne par cœur.

Dans un avis du Bureau de la traduction du Canada, on explique que «certaines femmes montrent encore de la réticence à utiliser des formes féminines qu’elles perçoivent souvent comme péjoratives ou dépréciatives». Ainsi, j’imagine que pour elles, une femme «chroniqueur» c’est pertinent, mais qu’une «chroniqueuse» c’est forcément geignard et fatigant, qu’une femme «camionneur» n’hésite pas à faire de longues heures sur les wake-ups comme ses collègues masculins, alors qu’une «camionneuse» revendique certainement de pouvoir faire la sieste dans des hôtels quatre étoiles.

Le syndrome «courir comme une fille» semble ainsi s’appliquer à l’insécurité des femmes en milieu professionnel. C’est ainsi que certaines femmes préfèreront se faire appeler «madame le maire» plutôt que «madame la mairesse» et ce, en dépit d’une admiration que le Québec porte à sa mairesse la plus célèbre, Colette Roy-Laroche, qui ne trouve aucun équivalant chez ses vis-à-vis masculins. Pendant ce temps, les titres de métiers traditionnellement occupés par des femmes, comme «serveuse», «éducatrice», ou «gardienne» n’ont aucune connotation péjorative. On n’entendra jamais une femme dire qu’elle est «éducateur en garderie».

Bien sûr, les femmes sont libres de faire comme elles l’entendent, et si elles tiennent à se faire appeler «acheteure», ou «travailleure autonome», c’est leur choix. Mais sachez 1. que c’est aussi grammaticalement incorrect que de dire «une amour morte» et 2. qu’il existe, ici bas, un terme juste pour vous, par lequel vous pouvez décrire fièrement votre réalité de travailleuse. Sauf si vous êtes «médecin», «matelot», «camelot», ou «marin», ou ministre française.

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