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Le projet de loi 20 s’il était appliqué

Photo: Métro

Le ministre de la Santé Gaétan Barrette déposait récemment un projet de loi s’attaquant à la rémunération des médecins et balançant par-dessus bord le programme de procréation assistée qui faisait pourtant la fierté du Québec en matière de prévention pour la santé des femmes et des enfants. Je n’entrerai pas dans les détails de la rémunération des médecins: ils sont assez grands pour se défendre. Ce qui m’intéresse, c’est l’abondance d’incongruités créées par la partie du projet de loi qui prétend mettre de l’ordre dans le programme de procréation assistée. Quoi de mieux que des études de cas fictifs pour en illustrer les travers…

  1. La fertilité, l’affaire des femmes.

Julien et Martine sont un couple infertile. Une investigation médicale révèle que la cause d’infertilité se trouverait du côté de Julien. Mais qu’à cela ne tienne, on sait bien que dans un couple, c’est TOUJOURS la femme qui achale son mari pour avoir un enfant. C’est donc sur le revenu de cette dernière que le gouvernement se basera pour accorder un crédit d’impôt, comme nous l’apprend la Presse Canadienne.  C’est bien pratique, comme les femmes gagnent généralement moins que les hommes, le remboursement de Québec sera moindre.

  1. Un crédit d’impôt hein…

Mais avant d’avoir droit à leur crédit d’impôt, il faudra que Julien et Martine déboursent les 10 000$ qu’il faut grosso modo pour entamer un cycle de fécondation in vitro. Un crédit d’impôt, c’est un peu comme une offre de remboursement postal quand tu achètes une télé. Non seulement c’est pensé en espérant que tu ne le réclameras pas (généralement, les riches ne l’oublient pas, d’autant qu’un crédit d’impôt peut vraiment leur permettre d’économiser sur leurs impôts), mais encore faut-il avoir l’argent sous la main.

  1. Faire l’amour pendant trois ans. Vraiment.

Julien et Martine connaissent la cause de leur infertilité, mais dans le cas de Paul et Suzie, c’est plus compliqué. Après de multiples tests, impossible de déterminer ce qui fait en sorte qu’ils n’arrivent pas à procréer, comme ça arrive dans plusieurs cas. Pour «prouver leur infertilité», Paul et Suzie pourraient devoir attendre jusqu’à trois ans pour que leur médecin en ait leur cœur net: malgré des relations sexuelles régulières et répétées, Paul et Suzie sont bel et bien incapables de procréer sans l’aide de la médecine. Heureusement, le ministre n’évoque pas la possibilité d’inclure des caméras dans les chambres pour que la preuve soit limpide. Je ne sais pas ce que le médecin recommandera à Maude et Annie, qui n’obtiennent pas de grossesse malgré leur vie sexuelle active!

Admettons que Suzie arrive dans le cabinet du médecin vers l’âge de 35 ans. À cet âge, sa fertilité est déjà en plein déclin. Trois ans plus tard, son problème ne risque que de s’être aggravé et le nombre de cycles requis d’avoir augmenté. Âgée de 38 ans, Suzie aura droit à l’implantation de deux embryons, comme le stipule la loi. Les risques de grossesse gémellaire s’en trouveront augmentés. Mais Suzie est déjà chanceuse, elle n’a pas 42 ans.

  1. Passez 42 ans, ne réclamez pas 200$, allez directement en prison.

Roger et Chantal arrivent à la clinique de fertilité alors que Chantal est âgée de 39 ans. Que voulez-vous: sa carrière d’ingénieure l’a emmenée à piloter d’importants projets d’infrastructures publiques dont les délais de livraison se sont prolongés de façon inexplicable. Roger et Chantal sont fins prêts à fonder une famille mais, bien qu’ils essaient depuis déjà deux ans, ils n’y parviennent pas par les voies naturelles. Le médecin leur indique que malheureusement, il ne pourra pas entamer les démarches avant trois ans.

Déjà découragés par la lenteur de la réalisation de leur projet parental, Roger et Chantal se résignent à s’acharner au lit. Chaque mois, Chantal et Roger deviennent un peu plus amères à mesure que les résultats de tests de grossesse s’avèrent négatifs. Trois ans, c’est long : ça peut signifier 36 échecs pour un couple infertile. Sans compter les nombreuses questions et recommandations bienveillantes de l’entourage: «Avez-vous essayé les jambes en l’air?» «Mangez des huîtres la veille».

Trois ans plus tard, éreintés et presqu’au bord du divorce, Roger et Chantal se rendent finalement dans le cabinet du médecin. Mais celui-ci leur annonce que, Chantal étant maintenant âgée de 42 ans, il lui est INTERDIT d’avoir recours à la FIV. Roger et Chantal répondent au médecin qu’ils sont prêts à débourser tous les frais et à ne pas réclamer le crédit d’impôt auquel ils auraient eu droit un an plus tôt (à seulement 20%, étant donné le salaire élevé de Chantal). Chantal s’était même fait à l’idée d’avoir recours à un don d’ovules, étant donné qu’à son âge, sa réserve ovarienne est probablement à sec. Mais non, il leur est interdit d’avoir recours à la FIV en vertu de l’article 10.1 de la loi 20.

Abattus, Roger et Chantal font ce que n’importe quel humain désirant ardemment avoir des enfants ferait : ils se rendent aux États-Unis, où il est encore permis de procréer après 42 ans. Ils tombent sur un médecin ambitieux qui leur propose, pour le même prix, d’implanter à Chantal plusieurs embryons à la fois. Comme ils sont à bout de nerfs et que les années passent sans que leur projet parental ne se réalise, ils tentent le tout pour le tout. Chantal tombe finalement enceinte… de triplés.

De retour au Québec, les choses se compliquent. Chantal accouche prématurément de ses triplés et ceux-ci requièrent une hospitalisation prolongée. Les coûts engendrés par cette hospitalisation sont exactement ce que le programme mis en place en 2010 devait limiter, mais le pire, ce ne sont pas les coûts, ce sont les séquelles permanentes causées par la grossesse multiple aux enfants de Chantal et Roger. Ceux-ci vivront avec un handicap toute leur vie.

Que va-t-on faire avec les couples qui décident malgré tout d’avoir recours à la FIV dans les juridictions où cela leur est permis et où les méthodes plus agressives ne sont pas réglementées? Les lyncher sur la place public? Les envoyer en prison? Je comprends que Québec ne veuille pas rembourser des démarches de procréation assistée dont les chances de succès sont limitées, mais de là à les interdire?

  1. Projet parental RE-FU-SÉ.

Mathieu et Laurie ont réussi à passer à travers le parcours du combattant : après avoir fait conformément l’amour pendant trois ans, ils peuvent enfin recourir à des techniques de procréation médicalement assistée. Ce n’est pas ce qui les rend le plus heureux: ils auraient préféré, comme tous leurs amis, faire des enfants sous la couverte. Mais que voulez-vous, la nature en a décidé autrement.

Ils doivent toutefois passer une évaluation psychosociale avant que leur projet parental ne soit accepté. Une travailleuse sociale se rend chez eux, pose des questions intrusives sur leurs habitudes de vie, examine leur maison. Quelques semaines plus tard, Mathieu et Laurie apprennent que leur projet parental est refusé. Est-ce en raison du dossier criminel de Laurie (pour une action de Greenpeace commiss il y a 15 ans)? Est-ce parce que les deux travailleurs autonomes n’ont pas un emploi jugé assez stable? Est-ce à cause de la dépression que Mathieu a vécue en 2005? Est-ce en raison de l’absence de cour arrière à leur logement? Impossible de savoir.

À partir du moment où l’État décide de se mêler de conception, il est attendu que celui-ci impose des règles. Mais contingenter la conception sous prétexte qu’elle se fait dans un contexte non idéal pose un problème: alors qu’il est possible de définir ce qui nous semble collectivement acceptable ou non, ce qui relève de l’idéal est beaucoup plus ambigu. L’idéal de l’un n’est pas nécessairement celui de l’autre. L’idéal ne serait-il pas que chaque enfant naisse dans une famille aimante, saine et financièrement aisée? Reconnaissons que ce n’est pas toujours le cas.

L’aide à la procréation par l’État ne confère pas à ce dernier le droit de s’ingérer dans les décisions éminemment personnelles de ses citoyens. En 1967, alors que le Premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau proposait une réforme qui rendrait l’avortement thérapeutique légal à condition qu’un comité de trois médecins confirme que la poursuite de la grossesse mettrait en danger la santé physique ou mentale de la femme, Lise Payette avait répondu ainsi: «Je refuserai de comparaître devant mes trois juges pour étaler ma misère et ma peine, pour raconter ma vie et mes angoisses avant d’obtenir le petit papier dûment signé qui fera de moi à nouveau une femme profondément humiliée».

Je pense qu’il serait la moindre des choses de ne pas en demander plus à ceux qui veulent mettre au monde des enfants.

Le programme de procréation assistée coûte cher à l’État et je comprends qu’en période où on nous dit qu’on n’a pas les moyens, il apparaît pour plusieurs plus juste de couper là-dedans que de couper dans l’aide aux aînés, aux familles ou aux personnes handicapées. C’est parce qu’on envisage toujours ce programme comme un luxe en oubliant qu’en réalité, on n’a pas les moyens de s’en passer et de créer plus de problèmes encore dans le système de soins de santé. Il n’y a pas de solution simple à la problématique que constitue la procréation assistée. Les solutions simplistes s’avèrent toujours plus dommageables à long terme que le statu quo. Pourtant, un rapport de 400 pages nous a offert une réflexion profonde et pertinente sur le bienfondé de ce programme. Ce rapport, contrairement à ce que plusieurs médias répètent sans cesse, ne recommandait pas l’abolition du programme. Il ne recommandait pas non plus d’en exclure certaines clientèles, comme les personnes célibataires et les couples homosexuels. Il recommandait des tas d’avenues possibles pour maintenir les nombreuses vertus du programme tout en en réduisant les dépenses. Aucune de ces propositions ne ressemble, de près ou de loin, à la réforme que nous propose le docteur Barrette.

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