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Espaces publics: Donner son temps

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miriamfahmy2014 - Directrice de la recherche et des publications à l’Institut du Nouveau Monde

Noël, c’est le moment de l’année où des organismes de bienfaisance sollicitent nos dons pour aider les plus démunis. C’est un moment qu’on associe au partage et à la générosité, une occasion parfaite de trouver dans nos poches quelques dollars à offrir en charité. C’est aussi une période de réjouissance et de célébrations; alors on donne pour que d’autres puissent eux aussi célébrer, même s’ils n’en ont pas les moyens. On donne peut-être aussi pour se faire pardonner notre orgie de consommation.

On donne de l’argent, et c’est tant mieux, même s’il ne faut pas oublier que la pauvreté est un produit social, un phénomène tout à fait évitable, le résultat de choix collectifs, et pas une fatalité. Mais en attendant de construire une société qui ne crée pas de pauvreté, on a l’obligation morale de se soucier des plus démunis.

Il y a une autre forme de don qui est moins consensuelle, qu’on a tendance à regarder avec suspicion: le don de temps. Le temps, c’est de l’argent! Pas l’temps d’niaiser! En cette époque de course perpétuelle, le temps est l’une de nos ressources les plus précieuses. Qui sont ces hurluberlus qui le gaspillent en le donnant? Ils doivent attendre quelque chose en retour, se dit-on. Ou peut-être sont-ils complètement naïfs… Voilà pourquoi on entend souvent dire ceux qui font du bénévolat : «Je reçois plus que je ne donne.» Ils se sentent obligés de justifier leur don! Notre époque n’admet pas qu’on donne de soi sans obtenir quelque chose en retour.

Mais le bénévolat a cette caractéristique bizarre de ne pas être un bien ou un service. C’est un geste, un rapport avec l’autre, un rapport social. Combien ça coûte? Rien. Et c’est peut-être ça qui nous gêne. À la maison, entre amis, ou en famille, ça va. Mais deux étrangers qui ont un rapport humain qui n’est pas quantifié? Étrange. Se moquent-ils du système? Et si tous les humains se mettaient à s’entraider, l’économie s’effondrerait-elle?

J’exagère. Mais il y a un peu de ça. Puisque ni ses motivations ni ses effets ne se mesurent, le don de temps bouscule nos conceptions de ce qui est rationnel, efficace, ou même valable. Alors, on le regarde un peu de haut. Le bénévolat, c’est pour les p’tites gens. Ceux qui n’ont pas d’obligations plus sérieuses. On le célèbre de temps à autre, modestement, avec un ton qui mêle admiration et condescendance.

Mais c’est précisément parce qu’il échappe à la logique dominante qu’il est puissant, et même politique. «La magie du don n’est susceptible d’opérer que si ses règles demeurent informulées», écrit le sociologue Jacques T. Godbout. En heurtant nos certitudes, le don de temps a un petit côté rebelle. Il nous amène à envisager les relations humaines différemment et même à aspirer à d’autres modèles de société. On le sous-estime. Le don de temps est un acte de dissidence.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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