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«Raymond Gravel était un grand humaniste»

Photo: Pier Courtemanche/TC Média

Entre octobre 2013 et août 2014, Carl Marchand est allé à la rencontre de l’abbé Raymond Gravel. Alors que le regretté homme de foi luttait contre un cancer, il s’est confié, avec le franc-parler qui a fait sa renommée, sur ses croyances spirituelles, ses idéaux politiques et son espoir d’une vie après la mort. De ces entretiens, le journaliste a tiré un livre qui retrace, avec beaucoup de sensibilité, le dernier combat d’un prêtre qui n’avait pas peur d’aller à contre-courant.

Dans votre livre, la lumière, celle qui illumine la chambre de M. Gravel, celle qui a quitté ses yeux ou encore celle, «blanche et révélatrice», qu’il espérait voir «de l’autre côté» est très présente. Est-ce que rencontrer M. Gravel a amené une certaine lumière dans votre vie à vous?
Carl Marchand: Disons que ça m’a apporté un éclairage différent sur la vie et sur l’importance de respecter ses propres convictions. Parce qu’il avait un désir de vaincre la maladie qui était tellement grand que c’était comme un enseignement. Il disait que la maladie ne doit pas nous empêcher de vivre. Que tant qu’il y a de l’espoir, il faut nous battre.

Vous rappelez que M. Gravel avait aussi un côté showman, dans le sens très positif du terme. Il vous disait souvent qu’une fois le cancer disparu, il vous inviterait à son «party de guérison». Est-ce que c’est un côté de lui qui vous a plu, qui faisait son charisme?
Oui, il avait une grande verve. Il avait un don! Les gens aimaient ça, aller le voir à la messe! Parce que, évidemment, le message qu’il véhiculait en était un d’ouverture, mais aussi parce que c’était un orateur extraordinaire, authentique, qui savait placer le bon mot au bon moment pour faire rire. On n’avait pas l’impression qu’il jouait une game.

Parlant d’authenticité, au fil de vos rencontres, il vous a dit toute la souffrance qu’il vivait, vous parlant de la douleur «qui irradiait» dans son corps, se demandant «Comment ça se fait que j’ai mal?», vous confiant être «tanné». Est-ce que cela vous a étonné de la part d’un prêtre? Parce que la souffrance est parfois une chose glorifiée par la religion…
Et à tort, selon Raymond Gravel. À tort! Comme il le disait, la vie est assez dure de même, on n’a pas besoin de souffrir en plus! Il m’a par exemple parlé de Jean-Paul II, qui se mettait des ceintures de clous, et m’a dit: «Regarde, je n’ai pas besoin de faire ça! Ça n’a pas de bon sens!» M. Gravel, c’était quelqu’un qui disait ce qu’il pensait, qui ne se cachait pas. Mais je dirais que son interprétation de la douleur m’a quand même surpris. Je ne m’attendais pas à ça.

Vous soulignez qu’il disait tout ce qu’il pensait. Dans une de vos rencontres, avant les dernières élections provinciales, il vous a ainsi confié: «Je ne veux pas que les libéraux rentrent. Ça serait un méchant recul. Avec le gros [sic] Barrette en plus.»
Oui! Il détestait la charte des valeurs proposée par le PQ, mais il était prêt à se pincer le nez pour que les libéraux ne soient pas réélus. C’était drôle de voir comment, en termes de religion, c’était un progressiste, mais côté politique, il avait toujours été péquiste et il n’allait pas changer pour ça!

«Souvent, on tient pour acquis que les gens qu’on prend pour modèles possèdent les réponses à toutes nos questions, alors qu’ils ont des incertitudes et des doutes, comme tout le monde.» – Carl Marchand, journaliste à Radio-Canada et auteur de Raymond Gravel – Le dernier combat

Vous rappelez qu’il a été l’une des rares personnes à rendre visite à Guy Turcotte à l’Institut Pinel et qu’il s’est montré «très clément» à son égard. Vous demandez d’ailleurs: «Qu’a-t-il vu dans les yeux de cet homme qui lui a permis de tout lui pardonner? Y a-t-il vraiment une réponse logique à cette question?» Justement, pour mieux comprendre, avez-vous laissé une certaine logique de côté?
Je pense que ça ne s’explique pas… En tout cas, moi, je n’ai pas nécessairement trouvé de réponse. Dans la vie, les choses ne sont pas toujours logiques, mais… honnêtement, j’ai accepté de ne pas comprendre. De toute façon, les gens qui ont connu M. Gravel savent que c’était une personne qui avait des convictions, mais qui pouvait aussi être opiniâtre. Je savais très bien que, même si je le questionnais là-dessus – et je n’avais pas à le faire non plus –, je n’arriverais pas à modifier ce qu’il pensait.

Une citation de M. Gravel qui ressort de votre livre, c’est: «La religion nous a nui. Elle fige certaines choses qui doivent évoluer. C’est la foi qui est importante. Pas la religion.» Ces mots semblent particulièrement importants en ces temps de violences religieuses extrêmes. Qu’en pensez-vous?
Je pense que, bien sûr, M. Gravel n’a pas vu les épisodes très tristes des derniers mois, les tensions religieuses et interconfessionnelles qui existent actuellement, mais que tout ça l’aurait beaucoup attristé. Parce qu’avant d’être un homme religieux, c’était un humaniste. Qui croyait que, peu importe le dieu qu’on louange, l’important, c’est de vivre ensemble.

Une chose qui peut étonner, c’est que M. Gravel disait «ignorer s’il y a une vie après la mort». Seulement espérer. C’est tout.
Oui… Il avait les mêmes doutes qu’un athée. Il disait: «S’il y a quelque chose, tant mieux! S’il n’y a rien, tant pis!» Mais il espérait. Il espérait énormément.

Livre Abbé GravelRaymond Gravel – Le dernier combat
Éditions du CRAM

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