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C-51 serait contesté en cour dès son adoption

Mélanie Marquis - La Presse Canadienne

OTTAWA – Les Autochtones contesteraient dès son adoption le projet de loi antiterroriste C-51, lequel pourrait, selon un expert, ouvrir la porte à des détentions dans des prisons secrètes comme celles de la CIA.

Le chef national de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Perry Bellegarde, plaide que le gouvernement n’a pas respecté ses obligations constitutionnelles de consulter les peuples autochtones avant de déposer la mesure législative.

«Notre recommandation est de retirer le projet de loi. Il n’y a eu aucune consultation, aucun consentement des peuples autochtones dans sa préparation», a-t-il reproché jeudi, à sa sortie du Comité permanent de la sécurité publique et nationale.

Comme l’ont fait les néo-démocrates et certains opposants au projet de loi avant lui, le dirigeant de l’APN a soulevé pendant son témoignage ses inquiétudes quant aux dispositions du projet de loi concernant le droit de manifester ou d’exprimer sa dissidence.

Il y a deux jours, lors de sa comparution devant le même comité parlementaire, le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, avait déclaré que de telles allégations étaient «complètement fausses et franchement ridicules».

Mais Perry Bellegarde persiste et signe: le manque de clarté de certaines définitions contenues dans le texte du projet de loi pourrait porter préjudice aux membres des Premières Nations.

«Nous pourrions porter l’étiquette de terroristes simplement parce que nous voulons protéger notre territoire et nos cours d’eau», a-t-il résumé autour de la table.

Aux préoccupations du chef de l’APN s’ajoutent celles de l’avocat Paul Champ, qui a brandi le spectre des prisons secrètes comme celles de la CIA.

«Ce projet de loi permettrait (aux agences canadiennes) d’exploiter des prisons à travers le monde et de détenir des individus» comme le font les services américains, a-t-il déclaré en point de presse après son témoignage.

Le projet de loi C-51 prévoit que «dans le cadre des mesures qu’il prend pour réduire une menace envers la sécurité du Canada», le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) «ne peut causer, volontairement ou par négligence criminelle, des lésions corporelles à un individu ou la mort de celui-ci».

Notablement, «cela n’inclut pas la détention», alors si les conservateurs «ne veulent pas permettre ce genre d’activités, qu’ils le spécifient dans le projet de loi», a tranché Me Champ, dont les remarques à ce sujet ont été accueillies par les rires de certains conservateurs siégeant au comité.

Le projet de loi antiterroriste, que le gouvernement espère adopter à toute vapeur, a été largement critiqué par les six témoins qui ont comparu jeudi.

Les conservateurs ont réservé à la majorité d’entre eux un accueil jugé irrespectueux par la porte-parole néo-démocrate en matière de sécurité publique, Rosane Doré Lefebvre.

La députée québécoise a déploré que ses collègues parlementaires, qui sont majoritaires au comité, aient utilisé le temps de parole qui devrait servir aux questions pour passer le message du gouvernement au lieu de réellement faire avancer les travaux.

À un certain moment pendant l’audience, l’un d’entre eux, Rick Norlock, a terminé un long préambule en demandant à la représentante de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique si elle était «fondamentalement opposée à retirer les terroristes des rues».

Carmen Cheung, avocate-conseil pour l’organisation, venait de signaler son opposition au volet du projet de loi qui rendrait illégal le fait d’applaudir un acte terroriste.

Elle avait plaidé que le fait d’endosser un acte de terrorisme pouvait être offensant pour certains, mais que c’était là le prix à payer pour assurer une liberté d’expression au sein de la société canadienne.

Le groupe environnementaliste Greenpeace a pour sa part soulevé devant le comité de vives préoccupations quant à l’impact que pourrait avoir l’adoption de la mesure législative sur la volonté des militants à participer à des actions citoyennes.

«Nous pensons que nos partisans, et les individus à travers le pays, vont y penser à deux fois avant de signer une pétition, de venir à une manifestation, et ça, ce n’est pas la démocratie canadienne», a déploré en point de presse Keith Stewart, responsable de la campagne Climat-énergie au sein de l’organisation.

Le témoignage de Greenpeace a été suivi de celui du premier président du comité responsable de superviser les activités des agences de renseignement canadiennes, Ronald Atkey, qui a taillé en pièces plusieurs dispositions du projet de loi.

Son «plus grave défaut», a-t-il fait valoir, est le volet qui autorise la Cour fédérale à émettre un mandat au SCRS pour prendre des mesures qui pourraient contrevenir à un droit ou une liberté garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.

«Cette disposition est clairement inconstitutionnelle et serait annulée par les tribunaux», a-t-il averti — une affirmation que le ministre de la Justice, Peter MacKay, qui coparraine C-51 avec son collègue Blaney, a réfutée à l’issue de la période des questions en Chambre, jeudi.

«Avant de déposer le projet de loi, comme nous le faisons pour chacun d’entre eux, il y a un examen approfondie et rigoureux pour s’assurer du respect de la Charte, et je peux vous assurer que cela a été fait dans ce cas», a-t-il dit en point de presse.

M. Atkey, un ancien ministre conservateur, a ensuite affirmé que le gouvernement serait «carrément irresponsable» de l’adopter sans prévoir en parallèle un accroissement des pouvoirs de surveillance pour équilibrer les nouveaux pouvoirs qui seraient dévolus au SCRS.

En vertu du projet de loi, l’agence d’espionnage canadienne pourrait notamment perturber des complots terroristes, criminaliser la promotion d’actes terroristes et contrer les projets de voyage de présumés terroristes.

La séance qui s’est tenue jeudi au parlement était la seconde des neuf qui sont prévues pour l’étude du projet de loi.

Même si les conservateurs qui siègent au comité avaient mis de l’eau dans leur vin et fait passer de trois à neuf le nombre de réunions qu’ils souhaitaient y consacrer, l’opposition néo-démocrate est toujours insatisfaite.

Car des témoins de grande qualité, dont l’ancienne juge à la Cour suprême du Canada et haute-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies Louise Arbour, ont dû décliner l’invitation à témoigner en raison de contraintes de temps, selon les députés du NPD qui siègent au comité.

«Elle était intéressée à venir en comité, mais malheureusement, parce que les audiences de comité se font dans un temps très, très raccourci, elle ne peut pas venir», a soutenu Rosane Doré Lefebvre.

L’absence d’un autre témoin choque les deux partis d’opposition: celle du commissaire à la protection de la vie privée Daniel Therrien, qui a publiquement fait part de ses nombreuses réserves sur le projet de loi.

Le porte-parole libéral en matière de sécurité publique, Wayne Easter, a accusé jeudi les conservateurs membres du comité de lui avoir bloqué l’accès — et selon lui, un agent du Parlement comme M. Therrien devrait de facto pouvoir témoigner devant le comité.

Un peu plus tard, en point de presse, le ministre MacKay a répliqué en accusant à son tour les députés de l’opposition de «feindre l’indignation» et a soutenu qu’ils auraient très bien pu l’inclure dans la liste de témoins qu’ils ont soumise au comité.

Celui-ci entendait jeudi soir, pour sa troisième rencontre sur C-51, les professeurs de droit Craig Forcese et Kent Roach ainsi que le secrétaire d’Amnistie internationale Canada, Alex Neve, tous critiques de la mesure législative.

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