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Un pipeline construit en 1952 qui inquiète

Photo: Steve Côté/Métro

Une fuite de 1500 litres de carburant d’avion à Montréal-Est, un inspecteur de soudures non qualifié et de la surpression non détectée: voilà quelques incidents découverts par Métro, concernant le pipeline de Trans-Nord, qui inquiètent des environnementalistes.

Ce pipeline, construit en 1952 et dont le tracé part de Nanticoke, en Ontario, et passe par Toronto avant d’atteindre Montréal, où une de ses branches va à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau alors que l’autre arrive dans l’est de l’île en passant par Laval, est peu connu du public. Pourtant, le pipeline de Trans-Nord est responsable de 6 des 13 incidents liés aux pipelines au Québec répertoriés par l’Office national de l’énergie (ONÉ) depuis 2008.

Deux déversements se sont produits dans la région de Mont-réal en 2010, soit un à Laval et un à Montréal-Est, et l’oléoduc a subi une pression supérieure aux normes permises à une reprise en 2009 et à trois reprises en 2013.

En raison de nombreux incidents survenus durant un court laps de temps, l’Office national de l’énergie (ONÉ)a d’ailleurs réduit de 20 % la pression maximale permise dans ce pipeline en 2010, et affirme qu’il surveille l’entreprise Trans-Nord de très près.

Plusieurs éléments qui figurent dans les rapports d’incident obtenus auprès de l’ONÉ en vertu d’une demande d’accès à l’information soulèvent des questions quant à l’entretien de ce pipeline, vieux de 64 ans.

«Le Trans-Nord, c’est un pipeline qu’on connaît très peu. On se rend compte qu’il y a de vieux pipelines qu’on avait un peu oubliés depuis quelques années. On se rend compte que la sécurité n’est pas toujours au rendez-vous», s’est étonnée Geneviève Puskas, agente de recherche et de mobilisation chez Équiterre, lorsque Métro lui a montré les documents.

«Je ne dispose pas de toute l’information nécessaire et je ne veux pas avoir l’air de porter des jugements, mais vous avez là une série de choses qui soulèvent des questions. Le public se demandera sans doute s’il y a un capitaine dans le navire», a pour sa part affirmé Richard Kuprewicz, ingénieur expert en sécurité des pipelines, qui n’a pas consulté les documents, mais à qui on a offert un résumé de leurs principales conclusions.

Trans-Nord a refusé d’accorder une entrevue formelle à Métro, mais a indiqué par courriel avoir «plusieurs mesures en place pour s’assurer [qu’elle mène des] activités de manière sécuritaire et responsable envers l’environnement».

Patrick Bonin - 2e entrée web

 

Une pièce datant de 1972

Le 27 février 2010, un déversement de 14000 L d’essence a eu lieu à Laval, près des berges de la rivière des Prairies. On l’a attribué à la défectuosité d’un joint d’étanchéité de caoutchouc installé en 1972 dans une valve. Une infiltration d’eau dans le caisson qui contenait la valve a mené à la corrosion des pièces de métal qui tenaient le joint en place. Cela a diminué l’étanchéité du joint et permis au carburant de s’échapper.

La valve en question avait été inspectée visuellement huit jours avant le déversement. Dans les documents obtenus par Métro, Trans-Nord explique qu’il est impossible d’inspecter physiquement ce type d’installations sans arrêter le flux du pipeline et retirer le joint, ce qui risque de le détruire.
Dans le rapport d’incident écrit en 2010 et remis à l’ONÉ, l’entreprise affirmait que 63 joints d’étanchéité identiques datant de 1972 existaient sur son réseau. Elle ajoutait que d’autres joints d’étanchéité de son réseau remontaient même jusqu’à 1952, et que «ceux-ci [n’avaient] jamais posé problème.»

Trans-Nord a fait savoir par courriel que tous les joints d’étanchéité ont été inspectés après l’incident et qu’ils le seront régulièrement. En outre, quelques-uns d’entre eux ont été remplacés. L’entreprise a aussi installé des alarmes dans tous ses caissons au Québec, afin d’être avertie si un produit s’écoule ou s’il y a une infiltration d’eau.

Un déversement à Montréal-Est

Le 14 juillet 2010, le ministère de l’Environnement du Québec a fait savoir à Trans-Nord qu’un produit pétrolier semblait s’accumuler sur l’eau dans la carrière Lafarge, à Montréal-Est, près du pipeline. L’entreprise a envoyé un inspecteur, qui, deux heures plus tard, constatait l’existence d’une zone de 10 m sur 10 m où toute la végétation était morte, sur le tracé du pipeline. L’ONÉ estimera plus tard que quelque 1 500 L de carburant d’avion se sont déversés.

On a dû retirer plus de 202 millions de litres d’eau du site, entre autres de la carrière, durant les opérations de nettoyage, selon l’ONÉ. Ni l’ONÉ ni Trans-Nord n’étaient en mesure de dire quelle proportion de cette eau avait été contaminée par les hydrocarbures, mais l’entreprise a indiqué que l’eau avait été traitée selon les normes du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.

À l’ONÉ, on affirme qu’il est difficile de mesurer avec précision le volume de carburant écoulé, étant donné le faible débit du déversement et les propriétés géologiques du site, qui ne permettent pas une accumulation du produit déversé. On précise toutefois que
1450 m3 de sols contaminés ont dû être retirés du site.

Le déversement a eu lieu parce que la corrosion avait creusé deux petits trous dans le pipeline. Un enrobage en polyéthylène, installé en 1995 et censé protéger l’oléoduc des éléments, s’était décollé, avait-on déterminé dans un rapport d’incident.

Genevieve Puskas 2e entrée

Un employé non qualifié

Lors de l’enquête de l’ONÉ sur le déversement du 14 juillet 2010 à Montréal-Est, on a constaté qu’un employé de Trans-Nord qui effectuait l’inspection des soudures n’avait pas les qualifications nécessaires pour accomplir ce travail.

«Les paramètres d’inspection n’étaient pas enregistrés de façon appropriée, et les conclusions du rapport d’inspection des soudures étaient fausses», peut-on lire dans un rapport d’incident préparé par l’ONÉ, qui expliquait que cette personne était encore en formation.

L’ONÉ n’a pas remis de contravention à Trans-Nord pour cette infraction, mais l’entreprise a «immédiatement déployé un inspecteur qualifié», a indiqué l’ONÉ à Métro.

Sanction de l’ONÉ

En octobre 2010, l’ONÉ a réduit de 20 % la pression maximale autorisée dans ce pipeline, en réponse à 5 déversements survenus en moins d’un an pour l’ensemble du pipeline, au Québec et en Ontario, et totalisant 200000 L de carburant.

En août 2013, l’ONÉ a permis à Trans-Nord de rétablir une pression normale sur une portion de 144 km de son pipeline, entre Montréal et Farran’s Point, en Ontario. L’ONÉ explique que Trans-Nord a effectué des réparations sur cette portion et a mis en place 19 directives pour améliorer son plan de gestion de son équipement.

«Dans le cadre du Risk-based Compliance Verification Inspection Program (programme de vérification du respect des conditions en fonction du risque), qui a mené à des inspections plus fréquentes pour des exploitants de pipelines ayant un historique de mauvaise performance, l’ONÉ continue de surveiller de près les activités de cette entreprise», a assuré le porte-parole de l’ONÉ, Darin Barter.

valve 2e entrée

Surpression non-détectée

Le 30 juin 2013, Trans-Nord détectait une surpression de 10 % par rapport à la pression maximale permise. Ce type d’événement doit être signalé à l’ONÉ.

Dans le rapport d’incident préparé par l’entreprise, on peut lire que deux autres événements de surpression de plus de 10 % avaient eu lieu dans les 12 mois précédents, en mars 2013 et en septembre 2012. Ces événements n’apparaissent pourtant pas sur la liste d’incidents que conserve l’ONÉ.

À l’ONÉ, on explique que Trans-Nord n’avait pas déclaré ces événements lorsqu’ils sont survenus. «Ces incidents n’avaient pas été détectés jusqu’à ce que l’entreprise enquête sur l’événement de juin 2013. Trans-Nord a découvert les incidents lorsqu’elle s’est penchée sur ses données SCADA (Supervisory Control and Data Acquisition, un système de contrôle à distance des installations techniques)», a dit l’ONÉ à Métro.

Trans-Nord a plutôt affirmé à Métro que les événements en question ont été détectés lorsqu’ils sont survenus, et que le flux de l’oléoduc a immédiatement été interrompu, comme le veulent les protocoles de sécurité de l’entreprise. On n’a par contre pas expliqué pourquoi ces événements n’avaient pas été signalés à l’ONÉ avant l’événement de juin 2013.

Un expert se prononce

Richard Kuprewicz, ingénieur expert en sécurité des pipelines, qui a plus de 40 ans d’expérience dans l’industrie, explique qu’un vieux pipeline n’est pas nécessairement plus dangereux qu’un pipeline récent.

«Si on entretient bien un pipeline, il peut rester en fonction de manière sécuritaire presque indéfiniment, juge-t-il, en précisant que les pipelines sont généralement construits avec de l’acier au carbone, qui ne dépérit pas avec l’âge. Par contre, si on n’entretient pas le pipeline, alors là, oui, l’acier de carbone sera en proie à la corrosion ou dégradé par les éléments éléments.»

Quelques faits contenus dans les documents que lui a relatés Métro l’ont par contre fait sourciller. «Certains de ces éléments sont sérieux, dont le fait d’excéder de 10 % la limite de pression permise et de ne pas le signaler à l’ONÉ (voir boîte 5), a-t-il estimé. Il y a une raison pour laquelle on impose des limites de pression dans la réglementation : il ne faut pas les dépasser!»

M. Kuprewicz affirme ne pas être surpris des incidents mis en lumière par Métro, puisqu’il y a selon lui un «climat de déréglementation des pipelines» au Canada, tout comme aux États-Unis.

Consultez les documents obtenus par Métro en cliquant sur l’image ci-dessous.

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