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Je suis Charlie (quand ça me tente)

Photo: Yves Provencher/Archives Métro

Je suis Charlie. On s’en souvient. Le feu pris dans la grange de la liberté d’expression. Richard Martineau et cie avec, en mains, allumettes et bidons d’essence. Des kilolitres d’essence. Fallait la défendre coûte que coûte, cette liberté d’expression.

Même si Charlie était et est encore, disons-le franchement, parfaitement irrévérencieux. À la limite de l’islamophobie. Parfois même les deux pieds dedans. Du mauvais goût, en veux-tu, en v’là. De l’humour noir, aussi. À pleine pelletée.

Mais bon. Il s’agissait, en gros, de rire, voire diffamer, les religions. Une plus que les autres, d’ailleurs. Et ça, c’était drôle. Et nécessaire. À titre perso, sais pas trop si je trouvais ça comique. Probablement pas, en fait. Mais utile? Oui, certainement. Parce que la liberté d’expression est au coeur même de nos assises démocratiques. C’est elle qui permet de dire, sans se retrouver au cachot, que le roi est nu. Sa valeur, inestimable, a été l’essence même de luttes féroces. Une démocratie sans liberté d’expression? Pas de chance. Parlez-en aux journalistes, militants et écrivains de la Corée du Nord, de Chine ou de Cuba, pour seules illustrations.

Évidemment, et comme pour n’importe quoi, certains détournent ce concept fondamental à des fins disons, hum, insignifiantes. Faire des jokes racistes ou purement mysogynes, par exemple. Mais, cela dit, peu importe. La liberté d’expression protège autant le bon que le mauvais goût.

L’important est de ne pas dépasser les paramètres, larges, de la liberté prévue. Et quelles sont ces mêmes limites? Entre autres le discours haineux, qui appelle directement à la violence. À en juger l’affaire Ward-Jérémy, peut-être aussi le propos blessant envers une personne vulnérable. Un handicapé, genre.

Dans tous les cas, le poursuivant en diffamation devra démontrer une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux.  Si, par exemple, la réputation en question du poursuivant laisse à désirer, fort probable que le montant sera moins élevé. Notamment si ce même poursuivant passe le plus clair de son temps à diffamer, ou à tout le moins insulter, tout ce qui bouge. Il y a quelques années, Vincent Marissal, de La Presse, avait traité, à TLMEP, André Arthur de «gros cave». Ce dernier, poussant le concept d’ironie à son maximum, avait alors poursuivi le chroniqueur, Radio-Canada, Guy A. Lepage et Dany Turcotte en…diffamation. L’histoire s’est réglée peu de temps après. Je vous laisse deviner pourquoi. En bref, quand ton job consiste essentiellement à vomir sur le monde, peut-être que ton action de type arroseur-arrosé sera moins pris au sérieux par le système judiciaire.

Ceci sera particulièrement vrai si, aux suites de «l’attaque» dont tu es victime, tu conserves ce même job, et que tu continues de sévir sur toutes les ondes du Québec: journaux, radio, télé. Si ton public trouve ton agresseur dégueulasse, et te témoigne toute la sympathie possible. S’il pleure avec et pour toi. Ta réputation, loin d’en souffrir, s’en trouvera plutôt ragaillardie, quand on y pense…

***

Une des défenses classiques et reconnues par la jurisprudence est ce qu’on appelle la satire. Celle qui a, depuis toujours, une fonction socio-politique reconnue. Pensons à Voltaire et son célèbre Candide. Cette même satire, selon le Larousse, se définit comme suit : «Écrit, propos, œuvre par lesquels on raille ou on critique vivement quelqu’un ou quelque chose.» Elle présente aussi ceci de particulier : à moins d’être un épais fini, ce qui arrive parfois, on saisit, à la première lecture, le sarcasme.

Vous avez vu Larry Flynt, le film? Non? Faudrait. Génial. Histoire courte :  depuis plusieurs années, le magazine porno Hustler se fiche de la gueule de sa tête de turc préférée, celle de l’évangéliste Jerry Falwell. Jusqu’au jour où ce dernier poursuit en diffamation. Hustler semble effectivement avoir alors franchi les limites: on publie une fausse entrevue où Falwell raconte les détails de relations sexuelles entretenues entre lui et…sa mère. Ouch et ouache. Il perd toutefois sa cause devant le Cour suprême des États-Unis. Pourquoi? Parce ce Falwell lui-même avait reconnu que personne ne pouvait croire à une telle bêtise. Une satire, donc.

Une autre: assez récemment, Richard Martineau, alors animateur-vedette à TVA, ouvre son (gros) show du midi vêtu d’une… burqua. Tout le monde, même le plus grand tarla, avait compris que Martineau n’avait pas été enrôlé, dans son sommeil, par l’État islamique. On comprenait plutôt que le polémiste souhaitait dénoncer le port du vêtement en question. Certains ont jugé l’acte islamophobe. D’autres, de ridicule. Ou encore de pur mauvais goût. Mais peu importe. Parce que satire, c’était légal.

Un dernier, particulièrement comique. Alors chroniqueur-vedette au Voir, Richard Martineau publiait, en 2003, une fausse chronique nécrologique.

Celle qui traitait de la mort annoncée d’un compétiteur, le Journal de Montréal (son actuel employeur).

Voici deux juteux extraits :

«C’est avec stupéfaction que le monde des médias a appris la mort soudaine du Journal de Montréal, vendredi dernier, à 6 h 05. Créé par Pierre Péladeau en 1964, Le Journal de Montréal a cessé d’être un tabloïd aimé et respecté du public pour devenir un catalogue des différents produits de l’Empire Quebecor.

[…]

La dépouille du Journal de Montréal sera exposée dans l’ancienne maison de Pierre Péladeau, maintenant baptisée Studio Star Académie, et les obsèques seront diffusées en direct sur les ondes de TVA. Notons qu’à la demande du défunt, on suggère aux gens de ne pas envoyer de fleurs. Faites plutôt des dons à la FPJQ et au Conseil de presse.»

Pense-t-on, à la lecture de ce qui précède, que le Journal de Montréal est effectivement mort? Ben non. Que Martineau souhaite celle-ci? Ben non. Qu’il trouve plutôt que le Journal 2.0. est devenue une poubelle publicitaire? Ben oui. A-t-il droit de dire une chose semblable? Ben oui.

C’est ce qu’on appelle une satire. Une belle. Celle qui permet de passer un message socio-politique. Qui assure la critique, même vache, d’institutions, d’acteurs politiques, de personnalités publiques. Nécessaire, en démocratie.

La liberté d’expression est en quelque sorte, à prendre ou à laisser. Tu es Charlie? Good. Tu te déplaces avec ta conjointe, à Paris, pour leur accorder votre soutien? Re-good. Reste maintenant à l’appliquer, et la faire respecter, en tout temps, cette liberté d’expression. Sans intermittence. Sans poursuite-baîllon. Sans hypocrisie.

Ce que je pense de l’affaire Cyr-Martineau? Je comprends ce dernier d’être blessé. Et si je la trouve drôle, la nécrologie? Et la caricature? Pas sûr. Mais on s’en fout, de toute façon, de ce que j’en pense. Parce que comme pour l’ensemble des exemples cités ci-haut, elles entrent dans le cadre de ce qui est protégé. Même si ça cogne dur. Très dur.

P.-S.: Il n’est pas dit que je ne serai jamais appelé à intervenir, à titre d’avocat, dans cette affaire. Au seul nom de la liberté d’expression. Celle que l’on doit protéger, temps plein. Pour les bonnes et moins bonnes raisons.

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