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L’héritage toxique d’Hérouxville

Photo: TC Media - Myriam Lortie

Toujours délicat, de parler, en mal, d’une figure publique récemment décédée. La mort de l’individu en question ne peut, cela dit, dédouaner à elle seule un héritage délétère, toxique. Surtout si ce dernier héritage pollue encore, maintes années plus tard, le débat public. Bien qu’éminent sensible, le sujet mérite une analyse rigoureuse, et ce, histoire de refuser de sombrer dans les méandres de l’hypocrisie post-décès.

Dans un texte récent, Mathieu Bock-Côté encense, le terme étant juste, André Drouin, père du fameux Code de vie d’Hérouxville. Selon le sociologue: « André Drouin était un homme honorable. (…) Il a poursuivi inlassablement son combat. Il a fait preuve d’une vertu aujourd’hui assez rare: il a fait preuve de courage civique. Authentique, jovial, courageux, et patriote, André Drouin s’est tenu fièrement dans la tempête. Il méritait notre respect. Il aura bien servi son pays. »

On parle pourtant ici de celui qui, profitant de l’appétit vorace de certains médias pour la controverse, a parti le bal des accommodements raisonnables. Ceci, évidemment, n’est pas néfaste en soi, chaque citoyen pouvant constituer la bougie d’allumage, ou encore le fiduciaire, de questions sociales d’importance. Sauf qu’en l’espèce, admettons-le, rien à voir avec le débat dit intelligent. Plutôt de la grossière caricature, du préjugé à fond la caisse, d’une pure plaisanterie revêtant des habits de débats politiques.

Ce même Code de vie, rappelons-le, interdisait de brûler les femmes, et refusait la lapidation et « dilapidation » de celles-ci…

Bon. Là-dessus, franchement, je me dois d’être d’accord avec le conseiller. Je suis aussi, tout autant que lui, farouchement opposé à toute forme de lapidation de quiconque, femme ou pas. Dilapidation No More. Voilà qui est dit.

Ceci étant, encore faudrait-il démontrer que ce douloureux phénomène existe. À cette question lui étant posée, le conseiller Drouin répondait suavement que oui, celui-ci est bien présent dans notre société, l’ayant constaté de ses yeux lorsqu’il travaillait chez Xerox, à Laval. Profitant de la formidable tribune de Tout le monde en parle, il affirme de plus « avoir brassé des milliards dans sa vie », et qu’en suivant ses conseils, Jean Charest « se ferait élire pendant 20 ans » (l’ex-premier ministre aurait dû l’écouter, visiblement).

Il exhorte ensuite ce même Charest de « décréter rien de moins qu’un état d’urgence contre les accommodements religieux». Dans la même foulée, le conseiller-maintenant-vedette prétend qu’un sondage (allez savoir lequel) confirme que 95% des gens l’appui à 100%. De quoi faire rougir Justin de jalousie.

Tentant de justifier l’entrevue, l’animateur Lepage affirme que ce qui fut laissé au montage constituait le meilleur de l’argumentation de M. Drouin.

Devenu vedette du fait de la surexposition médiatique, le conseiller profite toujours de tribunes, et plaide éventuellement pour un « moratoire sur l’immigration », et réclame la fermeture des mosquées partout au Canada (27 oct. 2014, TVA). Il accorde également, au passage, des entrevues à la « Fédération des Québécois de souche », groupe d’extrême-droite bien connu pour attirer, dans ses conférences, des néo-nazis assumés.

La meilleure? Celle-ci: après voir joué aux incendiaires, le conseiller admet, dans un documentaire, « qu’il riait aux éclats lorsqu’il a rédigé le document et que son but était de provoquer les politiciens […] C’était ridicule. » L’une des principales victimes de cette savoureuse plaisanterie, le commissaire Gérard Bouchard s’indigne et réplique que : « C’est un peu choquant d’avoir fait ça aux Québécois. » Mettons.

Morale de l’histoire? D’abord, que contrairement à ce que MBC avance, M. Drouin est tout sauf une sorte d’être honorable s’étant tenu debout face à « nos élites politico-médiatiques ». Deuxièmement, que la démocratie participative a ses limites. Pensons Pinault-Caron. Ensuite et surtout, que les médias ont joué, par attrait du sensationnalisme, un rôle majeur dans la création du personnage et sont ainsi partiellement responsables des conséquences qui s’ensuivirent, soit dix ans d’interminables et stériles débats sur les accommodements raisonnables. Enfin, que ce n’est pas parce que l’on rit que c’est drôle. La preuve.

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