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Billet au bout d’Haïti (suite et fin)

Photo: Frédéric Bérard

Les généralisations, de tout type et en tout temps, m’embêtent systématiquement. Elles sonnent par définition le glas de la nuance.

M’ont toujours fatigué les expressions du type «les Québécois pensent comme ceci», «les Américains sont comme cela». Pas qu’il n’existe jamais la moindre tendance. Seulement, la méthodologie à l’origine de tels «constats» est d’ordinaire dépourvue de valeur scientifique et laisse plutôt place aux impressions boboches, voire aux préjugés carrés. Voilà le difficile exercice, cela dit, avec lequel je suis aux prises depuis mon arrivée ici. J’aurais envie d’écrire que la joie de vivre et l’affabilité constituent deux des marques de commerce des Haïtiens. Mais qu’en sais-je, au fond? À combien d’entre eux me suis-je adressé, ou vice-versa, depuis quelques jours? Une centaine, au plus? Sur 10 millions d’habitants? Appelons ça la marge d’erreur.

Mais bon, je suis ici non pas pour une thèse doctorale mais bien pour de petites chroniques de voyage sans prétention. Et puis, de toute manière, je ne serai pas le seul. Au nombre de chroniqueurs qui assurent leur blé au nom de la caricature…

Alors voici, à mon tour : ils sont géniaux, les Haïtiens. Une gentillesse et une politesse exquises, jumelées à une joie de vivre enregistrée nulle part ailleurs. Contents de te voir, de répondre à tes questions. Quelques-uns ont même lu le premier billet de cette petite série, publié sur le site web de Métro. Ils sont visiblement ravis qu’on s’intéresse à eux autrement que par le prisme du misérabilisme.

Parce qu’il est là, je dirais, le principal problème d’Haïti : le regard de l’autre. Quelle est la dernière fois où vous avez entendu un truc positif en provenance d’ici? Voilà. Et pourquoi donc? Parce que l’autre, nommément la communauté internationale et les médias, s’intéresse exclusivement à la perle des Antilles pour ses seuls ennuis. Comme si rien de positif ne pouvait sortir de cette île honnie.

– Watson, vous savez que Trump a comparé Haïti à un shithole?

– Un quoi?

– Un trou à merde.

– Ah oui. Eh bien, je vais vous dire un truc : c’est lui, le trou à merde!

– Élémentaire, mon cher [Watson]!

Sans le lui dire, bien entendu, je me suis mis à réfléchir à ceci : et si Trump, malheureusement, disait tout haut ce que pense une faction importante de la communauté internationale?

Vrai que les problèmes sont légion ici, du moins selon les indices de l’ONU : corruption, criminalité et pauvreté (ceci expliquant habituellement cela).

Vrai que 50 000 citoyens, déplacés depuis le tremblement de terre de 2010, vivent encore dans des camps de fortune.

Vrai que pour les droits des gais et lesbiennes, on repassera.

Vrai que nombre d’habitants attendent l’électricité 24 heures sur 24, promesse électorale de 2016 toujours non remplie. Électeurs, électrices, électricité.

Vrai que la police…

– Tu penses quoi, de la police, Watson?

– Elle est très efficace!

– Ah oui? Mais n’est-elle pas corrompue?

– Mais bien sûr. Énormément.

– Mais tu dis qu’elle est efficace?

– Mais oui!

– D’accord.

Parce que c’est aussi ça, Haïti. L’acceptation d’une certaine fatalité, jusqu’à nouvel ordre. Une résilience ayant pour nom Espoir. Le refus des stigmates du dramatisme et du misérabilisme. Avec bonne humeur.

Il serait peut-être temps de faire de même.

F_berard@twitter.com

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