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L’Auschwitz de l’humanité

Frédéric Bérard

Ces mots sont rédigés dans un train, celui en provenance d’Auschwitz, tout juste visité. Celui dont on entend parler, souvent avec une voix sciemment diminuée.

Probablement parce que l’horreur ne peut être partagée à voix haute ou normale. Ou encore parce que ces atrocités, indubitablement parmi les plus grandes commises par l’Homme, forcent le silence du plus assourdissant des interlocuteurs.

D’aucuns ont joué le film dans leur tête, imaginé ce à quoi peut ressembler un camp de la mort. Une espèce de déni édulcoré au fil des ans : comment infliger à autrui, majoritairement sur la base de l’appartenance religieuse, un traitement semblable? Quel sordide champion de la psychopathie peut conceptualiser autant d’inhumanisme? Comment concrétiser ce dernier sans se buter à quelconque rempart, qu’il soit judiciaire, sociétal ou politique?

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Malgré le temps passé à ruminer l’affaire, rien ne peut préparer un cerveau ou un cœur normalement constitué à une visite du camp. Mes doigts écrivant ces lignes se posent, chancelants et nerveux, sur le clavier. Le choc, non absorbé, est brutal. Ma tête tourne encore un brin. Ma tentative de désinfecter ma nausée par l’entremise d’une grande Lech, excellente par ailleurs, se révèle un échec.

Si l’Homme, mathématiquement­ et moralement, se révulse devant ces horreurs, comment a-t-il pu les commettre?

Quel humain, hormis les disciples du sordide psychopathe en chef, peut résister à la charge mentale des affres et des conséquences concrètes d’une telle opération? Qui est en mesure de constater, de visu, l’existence de chambres à gaz? De fours crématoires? De tonnes de valises et de souliers amassés appartenant aux victimes? De quelques centaines de prothèses d’handicapés dirigés ipso facto vers la grande douche? D’assister, sans broncher, au spectacle de quelques centaines de livres de cheveux, coupés par les nazis pour fins de conservation? De regarder, stoïquement, les vêtements ayant appartenu à quelques milliers d’enfants? Pas moi…

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Deux sentiments, potentiellement paradoxaux, m’habitent. D’abord, une parfaite crédulité, même après avoir constaté l’affaire sans entremise. Ensuite, le réconfort de savoir qu’une masse de bonnes gens, également sur place, se désolent d’une injustice pareille.

Deux interrogations objectives résultant de cette confrontation sentimentale : premièrement, si l’Homme, mathématiquement et moralement, se révulse devant ces horreurs, comment a-t-il pu les commettre? Ensuite, est-il parfaitement incongru, voire impensable, d’imaginer pareil scénario se reproduire un jour, peu importe sa déclinaison?

Ceci explique cela, en fait. Parce que l’incommensurable violence des gestes et des actions posés rappelle, dans un premier temps, que l’Homme est effectivement capable des pires saloperies et que, dans un deuxième temps, la mémoire humaine, malgré les bonnes intentions, demeure assujettie à des défaillances systémiques. Pire, les obstacles à un minimum de vivre-ensemble sont robustes : désinformation essentiellement causée par l’arrivée des médias sociaux et, en corollaire, la chute des médias traditionnels; amenuisement effréné de l’État de droit et des garanties offertes aux minorités; sentiment de haine envers certaines d’entre elles, les musulmanes au premier chef, sentiment galvanisé par ces mêmes médias sociaux et autres leaders politico-médiatiques­ instrumentalisant, à leur avantage, la crainte de l’Autre.

Devrait-on croire à l’avènement prochain d’un nouvel Auchswitz? N’exagérons rien… mais demeurons vigilants. Parce que l’actuel président américain, constructeur de murs au propre et au figuré, a déjà promis en pleine campagne électorale de «ficher les musulmans» sur son territoire, avant de gagner quelques points dans les sondages. Et qu’au Canada, un aspirant premier ministre, Maxime Bernier, a récemment refusé de présenter ses condoléances lors de la tuerie en Nouvelle-Zélande, là où une soixantaine de musulmans ont été froidement assassinés. En Italie et en Hongrie, il est dorénavant criminel de secourir un migrant.

Un fumet de facho-inhumanisme­ déjà senti, quoi.

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