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La spirale (1)

Frédéric Bérard

«Demain 11 h, c’est réglé!» s’exclame, manifestement heureuse, Ève. Et pour cause. Pratiquement tous ont déjà entendu parler du tourbillon infernal du duo violence-pauvreté lié aux favelas brésiliennes.

Bien peu, cependant, auront la chance – façon de parler – de constater de visu l’ampleur des dégâts.

En fait, les histoires débiles entendues, et confirmées, ne manquent pas. Un couple de touristes suédois, égarés à Rio au volant de leur char de luxe, a eu l’outrecuidance de pénétrer les lieux de l’enfer.

Résultat? Assassinat manu militari.

Idem pour ce journaliste, pourtant brésilien, qui a eu l’audace de prendre quelques photos du quartier honni.

Mal lui en prit: on devait lui couper mains et pieds, pour ensuite le grimper en haut de la colline, au vu et au su de tous, avant de le faire flamber, parfaitement vivant.

Voilà pour la liberté de la presse.

Sans surprise, donc, les taxis traditionnels refusent tout simplement de s’y aventurer.

Bref, et même si le but de mon voyage était d’y pénétrer l’instant d’un moment, je me doutais bien que mon souhait relevait du délire ou, au mieux, du fantasme.

Sauf que, parfois, la vie nous parle. Dans un resto perdu au coin de nulle part, la conversation s’engage avec un couple de Hollandais. La raison de leur présence ici? La création d’une fondation ayant pour objectif de faire jouer au soccer les enfants-ados des favelas, le tout sous la supervision d’ex-détenus du quartier, recyclés en coach d’occasion. La vie nous parle, disais-je.

Après quelques coups de téléphone et messages, Ève-la-réalisatrice réussit l’impensable: une visite des lieux en compagnie de nos Hollandais favoris et (surtout) de Fabio, l’un des coachs.

Le chauffeur de l’hôtel accepte, 125$ plus tard, de nous y conduire, à condition de nous laisser à l’entrée d’une caserne de pompiers, point de rencontre prévu.

Quelque temps avant l’arrivée, il nous enjoint promptement de monter nos fenêtres et de barrer nos portes. Voilà qui part bien, me dis-je.

Quelques minutes plus tard arrivent Jan et Carin, les Hollandais au grand cœur, et ledit Fabio.

Ce dernier nous engueule presque d’entrée de jeu: «Ne circulez jamais ici les fenêtres fermées; vous allez passer pour un gang de rue, et les flics ou militaires vont vous descendre sans dire bonjour.»

Tout juste avant d’entrer dans son véhicule pour la ride finale, au coeur du délire, Fabio m’avertit: «Si t’entends des coups de mitraillette, je ne veux pas que tu aies peur, OK?» Ben non, voyons. Quel problème avec le son des mitraillettes?

«Si t’entends des coups de mitraillette, je ne veux pas que tu aies peur, OK?»

Il me prend pour une grosse chochotte, l’ex-détenu?

Parlant de ça, justement, il m’indique avoir fait quatre ans de prison, s’être fait tiré dessus trois fois, dont l’une sur une fesse, la balle ayant évidemment traversé et passé à quelques millimètres de la couille (droite, si mon œil est bon).

Quand même.

En route, le miraculé fait des clignements d’œil à l’un et l’autre des dudes armés de kalachnikov, jouant aux sentinelles de fortune.

À certains endroits, des poteaux ont été plantés dans l’asphalte afin d’empêcher la police spéciale (les flics ordinaires sont interdits d’accès) et les militaires de pénétrer sur les lieux protégés.

Succès mitigé, cela dit.

La semaine dernière encore, et à intervalles réguliers, les BOPE (la police spéciale en question) y ont débarqué entre 5 et 6h du mat et ont tiré à bout portant sur quatre des résidants.

Sans avertissement ni procès.

Faut dire que le nouveau président Bolsonaro, qui avait promis de «nettoyer les favelas», a donné la directive très stricte à ses sbires de faire feu sur «tout ce qui a l’air louche», c’est-à-dire sur pas mal tout le monde.

Mieux: l’immunité est sur le point d’être accordée, par l’entremise de la loi, à tout policier ayant tué «dans le cadre de ses fonctions».

Le wet dream de tout petit macaque en puissance, quoi…

La suite dans ma prochaine chronique.

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