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L’échec Arruda

Frédéric Bérard

Je sais, je sais. Ça ne se fait pas. Parce qu’il travaille fort. Et qu’on l’aime. Mais le fait de bosser avec énergie, malheureusement, n’est pas l’apanage ni une garantie d’une quelconque performance, ni même compétence. Et sur l’amour témoigné… euh… qui embrasse trop mal étreint? L’écueil du sentiment éprouvé, ici comme ailleurs, réside effectivement en l’aphorisme connu: l’amour rend aveugle.

Or, s’il est vrai que les faits sont têtus, force est de conclure au désastre actuel. Bien entendu, la crise étant mondiale et la science incertaine, nul doute que l’indulgence collective envers nos dirigeants se veut actuellement galvanisée au max. Compréhensible et souhaitable. Mais l’excuse a ses limites, notamment:

  • L’absence de transparence en matière d’évolution de la courbe et du pic, particulièrement quant aux conclusions, alarmantes, de l’Institut national de la santé publique du Québec, le tout apparemment pour «ne pas inquiéter la population».
  • Les promesses non tenues sur le plan du dépistage (voir l’excellent texte de Lagacé en date d’hier)…
  • L’improvisation perpétuel côté masques, où le docteur temporisait, avant-hier encore, son efficacité réelle en se portant en faux des récentes études rendues publiques, probablement afin d’excuser son incurie initiale (voir la pertinente chronique d’André Noël là-dessus). Fallu l’intervention tardive du premier ministre pour rectifier, enfin, le tir.
  • Affirmer, sans fondements et surtout sans modestie, avoir grâce à ses mesures «sauvé entre 30 000 et 60 000 vies au Québec». Or, quiconque connaît les taux de mortalité des pays les plus lents à avoir réagi, pensons Italie et Espagne, aux populations combien plus nombreuses, comprend aisément qu’il s’agit d’un mensonge pur et simple.
  • Affirmer l’importance d’atteindre «l’immunité collective» en favorisant notamment le retour à l’école, position corrigée immédiatement par l’Institut Pasteur et l’Institut national de la santé publique. Le docteur se ravise, sans mentionner sa gaffe, et autorise néanmoins ledit retour aux classes, maintenant… sans justification.
  • Répéter jusqu’à plus soif que les 60 ans et plus sont davantage à risque (ce qui est exact selon la science), suivi d’une virevolte spectaculaire et encore sans justification, ceux-ci étant maintenant réquisitionnés pour enseigner dans nos écoles, ou encore… garder leurs petits-enfants à condition, bien évidemment, que ceux-ci… ne restent pas pour souper. D’aucuns seraient ici tentés de conclure au rôle nouvellement politique du docteur, lequel, par son autorité scientifique sert, tout comme dans le cas du retour à l’école, de faire-valoir ou de caution du gouvernement, malgré l’indépendance pourtant inhérente à sa fonction apolitique.
  • Refuser de répondre à la scientifique en chef du Canada, pourtant une spécialiste renommée (voir autre article de Lagacé), celle-ci s’inquiétant des mesures prises par son homologue québécois, autrement que par un «je n’ai pas de compte à rendre à cette dame». Une réponse fondée sur la science aurait, au contraire, suscité un impératif dialogue public, surtout quand on sait que Québec est le seul endroit en Amérique à permettre le retour à l’école, et où sa politique de déconfinement est indirectement proportionnelle aux succès obtenus jusqu’à maintenant, soit près de 60 % des décès au Canada.

«Justifier l’absence d’imposition du port du masque… par les chartes des droits. On serait curieux de voir les avis juridiques à cet effet, un gouvernement en temps de pandémie ayant assurément le pouvoir, même sans recours à la disposition dérogatoire.»

Malgré les excuses bien senties et collectivement acceptées, reste que le clip où il danse sur les paroles «on est chanceux d’avoir François Legault. Suspends TOUS mes droits je te donne le go» constitue la preuve d’une inquiétante promiscuité avec le politique, sans compter un incompréhensible manque de jugement. Un minimum de sobriété, entre autres par respect envers les victimes et leurs proches, aurait été de mise.

***

Je vous entends d’ici: tu ne ferais pas mieux, alors ta gueule! Évidemment, que je ne ferais pas mieux. Drôlement pire, même. Mais si mes étudiants me trouvent poche, vais-je plaider pour ma défense qu’ils seraient probablement encore plus mauvais que moi? En fait, la présente affaire confirme l’hypothèse suivante: en «politique», seul compte l’amour que les gens éprouvent pour toi, le sens critique s’évanouissant alors de lui-même. Même, ironiquement, quand l’heure est à la catastrophe.

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