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Parlons racisme

Frédéric Bérard

L’Histoire, celle avec un grand H, se déleste difficilement de l’un de ses incorrigibles traits de caractère: empêcher sa propre répétition. Plusieurs plaident déjà, pure lapalissade, qu’il faille éviter l’erreur d’importer ici le racisme américain.

Que ce dernier, somme toute, constitue un enjeu de propriété exclusive au sud de la frontière. Que les Québécois, preuve comparative à l’appui, ne sont pas racistes.

Par où commencer? D’abord en précisant que cette dernière affirmation est, dans son essence, un tantinet débile. Fausse posture résultant, à mon sens, d’une détestable lecture manichéenne de notre société. Parce que n’en déplaise aux romantico-anxieux de la nation, le peuple québécois ne constitue pas un ordre monolithique. Il ne parle ni en bloc, ni adhère systématiquement à une pensée commune.

C’est ce qu’on appelle, au final, le pluralisme afférent à une démocratie. Une bonne affaire, me semble. Certains Québécois sont ainsi solidement racistes (irrécupérables). D’autres, pas une miette (bravo). Plusieurs, sans l’être, souffrent néanmoins de xénophobie, soit une hostilité de principe envers l’étranger (gardons espoir). Et les ratios changent au fil du temps et des événements. Ici comme ailleurs.

Conséquemment, le fait d’affirmer que le racisme sauce yankee est unique en son genre détourne habilement les yeux de la question, névralgique, suivante: existe-t-il des enjeux propres au racisme en terres québécoises? De manière pratiquement comique, certains se sentent manifestement visés dès que ladite question est soulevée, s’affairant dès lors à canarder l’interrogateur: BÉRARD Y TRAITE LES QUÉBÉCOIS DE RACISTES!!

Hilala. Je ne traite, ni considère, les Québécois de racistes. Fausse posture, répétons-le. Mais est-ce qu’il en existe, ici, du racisme? Le Québec serait-il le seul endroit du monde en étant exempt? Tous les rapports récents confirment de façon limpide qu’il est drôlement plus difficile, si l’on porte un nom ou qu’on ait un visage autochtone, arabe ou noir, de se trouver un job, au Québec. Idem pour un logement. Quant au fait de se faire interpeller, voire harceler, par les flics, on parle du phénomène inverse.

Notre premier ministre Legault nous a reconfirmé, lundi encore, qu’il fallait lutter contre ledit racisme, bien que celui de nature «systémique» se voulait inexistant. Cassette classique de nos haut-parleurs identitaires, dont les plus grands succès sont quasi-systématiquement repris par le gouvernement caquiste. On défendra cette position en affirmant qu’il n’y a pas, au Québec, de «racisme érigé en système». Entendu. Sauf que telle n’est pas la définition du racisme systémique. Plutôt celle-ci: le système provoque, souvent sans le vouloir, certains biais de nature discriminatoire. Or, en adoptant le juste concept, admettons que la réponse à la question posée change d’autant.

«Refuserait-on également une commission sur l’alcoolisme au motif que « les Québécois ne sont pas saouls »?»

Ceci explique d’ailleurs les obstacles pour ce qui est du logement, de l’emploi et des flics pour trop de citoyens. Pourquoi alors avoir abandonné l’idée d’une réelle commission sur le racisme systémique? Parce que celle-ci aurait nécessité un courage politique certain. Or, Philippe Couillard et cie se sont lâchement écrasés devant une opinion populaire braquée par les Lisée et Legault, appuyés par une armada de chroniqueurs, lesquels accusaient le gouvernement libéral de «vouloir faire le procès des Québécois», jouant d’ailleurs «aux donneurs de leçons». De toute beauté.

Refuserait-on également une commission sur l’alcoolisme au motif que «les Québécois ne sont pas saouls»? En bref, nier aussi aisément l’enjeu en vient à participer, sciemment ou non, à sa construction ou consolidation.

***

Hormis ce qui précède, c’est-à-dire une façon efficace de détourner les yeux, un phénomène supplémentaire participe à la négation du problème: la réécriture du discours médiatico-politique. Des airs de novlangue où sont maintenant décriés les «antiracistes radicaux (!)» et «antifascistes (!!)». On s’appropriera aussi, de manière tout aussi rigolote, le concept de «racisme anti-blanc», pourtant inexistant en sociologie. Habile.

Parce qu’en se posant ainsi en victimes, le Blanc privilégié en vient à non seulement masquer l’injustice commise, mais aussi à faire porter, outrecuidance à l’appui, le fardeau du climat délétère actuel sur d’autres épaules que les siennes.

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