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Des complots à rendre fou

Frédéric Bérard

«Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir, mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez.»

Ces mots d’Hannah Arendt, brillants et justes comme toujours, m’ont récemment envahi le cortex, sous l’angle suivant: en sommes-nous à assister, présentement, à l’irréversible rupture entre le citoyen et la démocratie ou, du moins, avec les institutions afférentes à celle-ci? Et bien qu’il serait tentant, voire rassurant de le faire, je ne réfère pas au remuage chez l’Oncle Sam ou ailleurs en Occident, mais bien à la situation du Québec.

Parce que la tendance complotiste en tout genre, comique à ses balbutiements, le devient soudainement moins lorsque celle-ci infecte une partie autant appréciable de l’électorat d’une nation. J’ai déjà écrit ici, en citant Eco, à quel point les réseaux sociaux sont venus galvaniser la hausse de la désinformation ambiante, celle-là même qui fait en sorte que les complots à la sauce chemtrails, 5G, micropuces par vaccin et organisation pédo-sataniques dont font apparemment partie intégrante de maints leaders Occidentaux, sont dorénavant considérés comme crédibles, du moins partiellement, par trop de gens.

«Hey Fred, juste te dire merci de vulgariser certains enjeux, mais pourrais-tu me dire si c’est vrai que le gouvernement est corrompu et sous le joug de l’OMS? J’ai vu des vidéos sur YouTube et je pense que je le crois, mais je ne suis pas sûr.»

Un autre, d’une personne engagée dans les hautes sphères d’un parti politique fédéral:

«Allô, t’as raison, les mesures de Legault avec le confinement et déconfinement, c’est n’importe quoi, merci de le dire. Mais pourrais-tu aussi écrire sur les complots?»

«Salut, merci, mais c’est-à-dire?»

«Ben écrire sur la stratégie de Gates de nous insérer une micropuce par vaccin pour réduire la population mondiale!»

Le problème, au-delà du potentiel comique, résidera aujourd’hui, pour le citoyen, de départager le vrai du faux.

Je me suis d’ailleurs trouvé en plein coeur du débat sur le projet de loi 61 dans une curieuse posture. Initialement pessimiste quant au succès de la lutte en question, je me réjouis en réalisant à quel point ma prédiction se voulait erronée, un vaste mouvement citoyen hétéroclite et éparse en venant, pour la première fois, à s’opposer farouchement et en quasi-bloc au gouvernement-chéri. Sauf que ce mouvement informel devait réunir l’ensemble des complotistes de tout acabit, lesquels voyaient manifestement dans le PL61 la confirmation supplémentaire de leurs appréhensions les plus folles (et c’est le cas de le dire). C’est ainsi que Lucie Laurier devait partager avec passion… mes petites vidéos ou chroniques sur le sujet. Plus on est de fous, plus
on s’amuse, non?

Reste que le problème, au-delà du potentiel comique, résidera aujourd’hui, pour le citoyen, de départager le vrai du faux. La crédibilité des médias traditionnels ayant chuté dans l’estime populaire au profit du faitesvosrecherches.com, pente glissante s’accélérant sans cesse, comment faire afin de remettre le dentifrice dans le tube? Bien sûr, le tout serait fort probablement plus aisé si certaines institutions ne venaient pas entretenir davantage le sentiment populaire de trahison des élites gouvernementales et autres. Pour preuve, la récente sortie de l’Institut économique de Montréal sur les politiques de confinement du gouvernement québécois, entretenant encore davantage l’idée que celui-ci aurait tenté, sur la base d’une seule étude par ailleurs erronée, d’étouffer l’activité économique de la province.

Comme l’explique Alexandre Blanchet, PhD et leader de la recherche quantitative à la CREVAJ: «on remarquera d’ailleurs que l’IEDM n’essaie même pas de démontrer la chose. Ils l’affirment et on est censé gober ça comme si ça tirait de l’évidence. Sauf que le narratif est absurde. Aucun pays ne s’amuse à fermer toute son économie du jour au lendemain sur les bases d’une seule étude.»

De quoi rendre fou. Bien vu, Hannah.

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