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Le livre de recettes

Frédéric Bérard

La campagne de 2016, ou plutôt le préambule de celle-ci, avait de quoi faire rigoler. Lancé dans l’arène revêtant des habits de clown, Donald Trump multipliait pitreries et coups de gueule, le tout sous un auditoire hilare et dubitatif : mais qu’est-ce que ce cirque ?, de s’interroger le spectateur classique de la chose politique. Parce que malgré nos accoutumances au volet hollywoodien de celle-ci, n’en demeure pas moins qu’un néo-modèle, allô l’iconoclasme, s’érige alors sous nos yeux : ubuesque, misogyne assumé et raciste tout autant, le candidat républicain fracasse le moule convenu du politically-correctness, sinon de la bienséance, avec une arrogance sauce narcissique aux allures stratosphériques. À tel point que je devais un jour lancer à mes étudiant.es, mi-sérieux, que je m’attendais à ce que Trump passe incessamment aux aveux et admette, enfin, que sa candidature n’était qu’une blague. Un peu comme celle de Coluche aux présidentielles de 81, version sinistre. En vain.

Satisfait de l’effet produit chez une foule croissante, le clown devait en rajouter chaque jour davantage sans atteindre, à ma surprise, quelconque saturation. Jusqu’au jour où, excité par ses excités, le clown s’approprie les lignes nazies et suggère, à mot non couvert, l’idée de « ficher » les Musulmans en territoire américain. Un signe distinctif, par exemple. 1934. Voilà, me dis-je, le couvercle du percolateur vient de sauter. Merci, bonsoir, le clown.

Bah non. Ici encore, me suis planté, et solide : quelques jours plus tard, un nouveau sondage annonçait une hausse de son score potentiel. C’est alors que je compris – il était temps – que la fracture annoncée par certains se voulait encore davantage importante qu’anticipée, qu’un point de non-retour venait d’être atteint et qu’il serait, malgré notre corps défendant, impossible de remettre la pâte à dent dans le tube. Faudra faire avec, comme dirait l’autre.

Les quatre dernières années, fallait-il s’en surprendre, furent effectivement marquées par le sceau de l’absurde. Un (ridicule) mur construit à la frontière mexicaine, une loi bannissant les Musulmans de divers pays de séjourner aux USA, des centaines de décrets visant à décrisser les rares avancées écologiques ou de protections des espèces protégées, une prolifération d’incidents diplomatiques plus insultants les uns que les autres (« shit holes », anyone?) ou parfaitement dommageables pour le fragile droit international (allô, Traité de Paris ?). S’ajoutent à ceci les tapes dans le dos à l’extrême-droite sauce KKK ou aux semi-complotistes, conflits d’intérêts à répétition, le record absolu du mensonge-politicien, ainsi que la multitude de disgrâces racistes et misogynes rendus sous le signe avoué de la division, la haine et le mépris. De toute beauté.

Mieux : malgré ce qui précède, plus de 70 millions d’électeurs américains devaient renouveler leur confiance au facho en puissance, et ce, en toute connaissance de cause (ou presque). Morale de l’histoire ? Deux. D’abord, que si Trump s’était montré un brin plus subtil, et que le tsunami Covid-19 n’avait pas plombé son bilan, notamment sur le plan économique, il y a fort à parier que le clown, aujourd’hui, serait tout sauf triste. Ensuite, que son livre de recettes populistes, déjà emprunté aux quatre coins de l’Occident, risque de demeurer au palmarès des best-sellers pour un avenir (au moins) rapproché. Espoir de jours meilleurs avec Biden et Harris ? Sans contredit. Mais le changement ne pourra s’opérer, magiquement, de ce simple état de fait. La blessure provoquée par la fracture populiste est vive, profonde. Seul un changement de paradigmes, incluant une reconstruction des ponts passant notamment par une éducation civique, pourra éviter, à l’avenir, une prise deux. Une reprise de conscience citoyenne. Comme disait Camus : L’espoir, au contraire de ce qu’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c’est ne pas se résigner. Au travail.

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