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Le cochon de mon oncle Robert

Je devais avoir 7 ou 8 ans la fois où j’ai annoncé à mes parents que je voulais devenir végétarienne. C’était à Noël. Ma tante Lena et mon oncle Robert nous recevaient chez eux et l’énorme buffet de spécialités italiennes était étendu sur la table. J’étais habituée de manger de la porchetta chaque année, mais ce Noël-là, mon oncle avait décidé de la présenter autrement. Plutôt que de la trancher et d’étendre les morceaux sur un plateau, il avait déposé le cochon de lait rôti entier, avec la tête, sur la table. J’ai fondu en larmes dès que je l’ai vu et j’étais inconsolable tout le reste de la soirée.

Je venais de comprendre que la viande, ça n’apparait pas miraculeusement dans un emballage de plastique sur les tablettes des épiceries. Je venais de comprendre qu’on mange vraiment des animaux, comme ce petit cochon qui était là sur la table et qui n’avait certainement pas mérité de se faire assassiner, ouvrir, farcir avec sa propre chair, recoudre et rôtir pour être finalement présenté comme une œuvre d’art sur le plateau d’un set de vaisselle qu’on sort juste à Noël.

J’ai refusé de manger de la viande ce soir-là et j’ai dit à mes parents que je ne voudrais plus jamais en manger non plus. Évidemment, mon projet de végétarisme a avorté assez vite parce que mes parents – je ne leur en veux pas pour ça – ont plus ou moins pris au sérieux la crise de larmes d’une enfant de 7 ans. D’autant plus que ma nouvelle diète aurait un peu trop compliqué la gestion des repas familiaux. Ils m’ont dit que c’était normal de manger de la viande dans la vie, que c’était important parce qu’il y a plein de nutriments dedans, et qu’il ne fallait pas pleurer pour ça.

Vingt ans plus tard, je ne suis toujours pas végétarienne. Même que depuis cet épisode, je l’avoue, je n’y ai jamais vraiment repensé. Avec le temps, je me suis convaincue qu’un repas n’en est pas vraiment un s’il ne contient pas de viande – merci papa, maman, et feu arc-en-ciel du Guide alimentaire canadien. Jusqu’à récemment, je n’aurais jamais commandé un plat végétarien au resto. Payer pour une assiette pas de protéines qui ne bourre même pas? No way. Jusqu’à récemment.

On parle plus que jamais aujourd’hui de l’importance de protéger notre planète et des façons de réduire notre empreinte écologique. Mais on a beau éviter le suremballage, acheter en vrac et traîner des sacs réutilisables à l’épicerie, si on continue de consommer de la viande comme on le fait actuellement, ces gestes-là n’auront aucun impact. L’élevage d’animaux pour la production de viande produit plus de gaz à effet de serre que toute l’industrie des transports. C’est alarmant. Et il suffit de regarder un court épisode de 18 minutes de la série Explained sur Netflix, celui sur la crise mondiale de l’eau, pour comprendre la quantité aberrante d’eau qui est nécessaire pour produire une seule boulette de hamburger (plus de 2000 litres, si vous vous posiez la question).

C’est sans parler du traitement réservé aux animaux d’élevage, qui a été maintes fois dénoncé à travers des documentaires que je n’ai jamais eu la force de regarder parce que j’ai fermé les yeux là-dessus et que je préfère me mentir moi-même depuis l’épisode de la porchetta de mon oncle Robert.

Si je vous raconte tout ça aujourd’hui, c’est que j’arrive au terme d’une semaine 100% végé. C’était un petit défi amical avec un collègue dont le but était simplement d’essayer de nouveaux aliments et, peut-être, de laisser tomber nos préjugés. Cette semaine remplie de légumes colorés, de légumineuses, de tofu et de tempeh m’a confirmé que c’était facile d’aimer manger végé. Ça goûte bon pour de vrai, autant que la viande. Et c’est nourrissant pour de vrai, autant que la viande.

J’ai réalisé que manger végé n’était pas un sacrifice et que couper la moitié ou même les trois quarts de notre consommation de viande à la maison serait possible sans faire de compromis sur le plaisir de la bouffe. Pour notre planète et même pour moi, j’ai envie de le faire. Je ne pense pas que j’éliminerai entièrement la viande de mon alimentation demain matin (particulièrement avec un chum qui aime un peu, beaucoup, passionnément le steak et le bacon) mais, finalement, je me suis débarrassé du préjugé végé. Je pense que c’est un pas dans la bonne direction. Et si je vais plus loin, ce sera peut-être à cause de l’histoire de mon oncle Robert et son cochon…

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