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I cœur New York

Sylvain Ménard

Ça fait bien près d’une quarantaine d’années que je vais faire un tour à New York de temps en temps. Comme le disait jadis un de mes amis, j’aime tellement cette ville que j’irais là juste pour manger une claque sur la gueule. Ce qui était d’ailleurs un risque réel à l’époque. Fallait parfois prendre ses jambes à son cou quand on devinait qu’on allait se faire crisser une volée dans la minute… La Grosse Pomme a beaucoup changé depuis et, de nos jours, ce sont des mascottes en peluche qui me donnent envie de me pousser de Times Square sans demander mon reste. De l’enfer sur terre à Disneyland, il n’y aura eu qu’un pas. Et quelques saisons…

Je me rappelle une époque où on allait à New York pour s’imprégner de l’esprit de cette ville à la fois fascinante et terrifiante.

Aujourd’hui, quand on y retourne, force est de constater que c’est New York qui s’est adaptée à nous. Aux touristes, s’entend. Sur Broadway, on a peint la chaussée en vert et on a sorti des chaises de jardin. Là où Virgin Records nous offrait jadis le meilleur inventaire de disques sur la planète, on trouve désormais la boutique Disney où on nous rentre de force des baguettes magiques dans le fond du trognon. Des robes de la Princesse­ des Neiges sont aussi offertes, moyennant un léger supplément­.

Le Bottom Line et le Lone Star Café, mes deux clubs rock préférés à vie, sont depuis longtemps fermés, et la minuscule bicoque du monsieur avec le plus grand air bête de tous les temps, mais qui servait les meilleurs philly cheese-steak de l’univers, a été écrasée par une mégasurface où on vend des M&M’s à la tonne. Des vestiges d’antan, il ne reste que la boutique où l’on vend des souvenirs des Yankees. Léger inconvénient : je déteste les Yankees…

On ne voit même presque plus de t-shirts «I cœur New York». Peut-être que c’est justement ça, le problème. Un problème de cœur. Un cœur qui a vécu un «avant» et un «après» le 11 septembre et qui s’est fait cruellement rappeler qu’il devait dorénavant se tenir tranquille s’il voulait avoir la paix.

Le monde et les temps changent. Même New York. Et, fatalement, moi aussi. Ai-je perdu le goût du risque? Pas encore tout à fait. La preuve : je me suis encore délecté d’un hot-dog bouilli à l’eau sale à l’angle de la 42e et de la 8e.

On ne me refera pas.

•••

Vu à New York : All My Sons d’Arthur Miller (Ils étaient tous mes fils). L’action se passe en 1947 dans une famille américaine typique. Deux frères partis à la guerre. L’un est revenu passablement poqué, l’autre n’est jamais rentré. La blonde du disparu est devenue celle du survivant. La blonde – qui est incidemment blonde comme les blés – annonce que son frère viendra la rejoindre plus tard. Le frère en question débarque. Léger détail : il est noir. Ce qui est, je vous l’avoue, un peu déroutant. L’action se poursuit, comme si de rien n’était.

À la fin du show, craignant que ma francophonie ne m’ait fait perdre le fil d’une histoire que je n’aurais pas tout à fait saisie, je suis allé m’informer auprès d’un placier sur cette «parenté» pour le moins improbable.

– Ne vous inquiétez pas, vous avez parfaitement tout compris. Il s’agit d’un color blind cast (i.e. une distribution choisie sans égard au teint de la peau des comédiens).

– Ah bon, je suis rassuré­. J’avais un doute sur ma perception­ de l’ensemble.

– J’espère que vous n’avez rien contre cette pratique?

– Non, pas du tout. Juste que l’été passé, à Montréal­, sous le poids des protestations­, on a annulé un spectacle justement parce que des comédiens blancs tenaient des rôles d’esclaves noirs. Vous raconter tout le boucan que ça a provoqué, ça ne se dit même pas.

– Ça tombe sous le sens! Des esclaves blancs, ça ne fait effectivement pas très crédible.

– Si vous le dites…

Morale de l’histoire : si un jour j’ai la chance de voir Les jumeaux vénitiens de Goldoni, je vous jure sur la tête de mon chat que je ne feindrai pas le moindre étonnement si la paire de jumeaux est formée d’un Chinois et d’un Suédois. Promis.

•••

La question n’est pas de savoir si un politicien doit se déplacer sur les lieux d’un sinistre – ça ne se discute même pas – mais comment il doit s’y comporter.

Il y a la méthode François Legault où un premier ministre tient des propos encourageants et s’applique à faire des annonces rassurantes pour les sinistrés. Lucien Bouchard avait fait ça lors de la crise du verglas. Sinon, il y a la méthode du fou à lier où un président des États va lancer des rouleaux d’essuie-tout aux gens dans le besoin après le passage d’un ouragan. Celle-là, on vous conseille de ne jamais l’utiliser, sous aucun prétexte.

Finalement, il y a l’opération patentée où un incorrigible Kid Kodak emmène ses enfants pour aller remplir trois ou quatre poches de sable devant les photographes afin de jouer à l’empathique de service qui n’a pas peur de se salir les pattes pour la cause.

Ne vous demandez pas pourquoi Justin Trudeau s’achemine de toute évidence vers une formidable taloche électorale en octobre prochain.

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