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Ottawa n’a d’autre choix que de tenir sa langue face au scrutin américain

Photo: Matt Slocum/AP Photo

OTTAWA — Le silence était assourdissant, mercredi à Ottawa, après les déclarations explosives — mais prématurées — de Donald Trump proclamant sa victoire à l’élection présidentielle américaine et sa menace de porter son combat en Cour suprême.

M. Trump revendiquait un triomphe même si on était toujours à compter le vote postal, y compris dans des États clés comme la Pennsylvanie — un processus démocratique qui pourrait prendre des jours.

Il aurait alors été tentant alors de prendre la parole pour dénoncer une violation apparente du processus démocratique généralement accepté aux États-Unis. Mais le gouvernement Trudeau a tourné sa langue sept fois avant de parler. Des analystes affirment que le silence était effectivement la seule option dans les circonstances.

«Le Canada et les autres alliés doivent rester silencieux, à l’exception des déclarations favorables à un processus démocratique ordonné: ce qui se passera dans les heures et les jours à venir est surveillé de très près partout dans le monde par les dirigeants légitimement élus, les dictateurs et les putschistes», estime Michael Bociurkiw, un Canadien qui a travaillé pour l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe pendant deux ans après l’invasion par la Russie de la Crimée en 2014.

M. Bociurkiw juge que ce silence était primordial, même si les remarques de M. Trump «auraient pu sortir de la bouche de quelqu’un comme Vladimir Poutine, qui est devenu un maître dans l’art de fomenter le chaos, de semer la confusion».

Stephen Pomper, directeur principal des politiques de l’International Crisis Group, à Washington, admet qu’il était «imprudent et mal avisé» de la part de M. Trump de clamer prématurément sa victoire, mais il estime que le monde doit prendre un pas de recul et attendre patiemment la suite des choses. «Les dirigeants étrangers doivent exprimer leur soutien au processus démocratique et se retenir de lancer des félicitations jusqu’à ce que ce processus ait suivi son cours.»

Et pour le Canada, il y a encore plus en jeu. Toute déclaration prématurée, surtout si elle semble pencher du côté du démocrate Joe Biden, pourrait créer une réaction économique néfaste si M. Trump devait finalement l’emporter.

La leçon de Charlevoix

Le gouvernement Trudeau a appris cette leçon à la dure au cours de la longue et parfois amère renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain. Les libéraux suivaient à la lettre une discipline de communication qui interdisait toute réaction aux messages provocateurs du président américain tout au long des négociations. Mais lorsque M. Trump a imposé des tarifs punitifs sur l’acier et l’aluminium canadiens, le gouvernement les a publiquement qualifiés d’«injustes». Lorsque M. Trudeau a réitéré ce point à la clôture du sommet du G7 à Charlevoix en 2018, M. Trump s’est déchaîné sur Twitter, qualifiant M. Trudeau de «très malhonnête et faible».

Par ailleurs, «le Congrès aura à peu près le même aspect: une majorité républicaine au Sénat et une Chambre des représentants avec une majorité démocrate légèrement diminuée», rappelle le diplomate à la retraite Colin Robertson, vice-président de l’Institut canadien des affaires mondiales. «Cela signifie que nous devons continuer à travailler des deux côtés car nos intérêts sont nombreux.»

Mais en coulisses, le Canada et certains de ses alliés occidentaux redoutent probablement un autre scénario: que se passerait-il si M. Trump décrochait le téléphone et voulait parler à un dirigeant avant que l’issue du vote soit clairement établie? Bessma Momani, spécialiste des affaires internationales à l’Université de Waterloo, croit qu’on doit se préparer à cette éventualité. Car «M. Trump pourrait en faire une affaire personnelle et infliger des punitions commerciales» si on ne le félicitait pas immédiatement.

Quelle que soit l’issue du scrutin, les Américains sont clairement plus divisés que jamais et l’approche d’Ottawa doit être recalibrée pour en tenir compte, estime Sarah Goldfeder, consultante et ancienne diplomate américaine qui a servi deux ambassadeurs à Ottawa. «Cette thèse voulant que M. Trump ait été élu, au fond, par beaucoup d’Américains qui sont, disons, stupides, ou qui ne voulaient pas vraiment voter pour lui, (…) eh bien, cette thèse ne tient pas.»

Et si M. Biden gagne, «cela ne signifie pas que la division sous-jacente, la négativité, les troubles, la méfiance» qui s’est installée dans le discours politique américain auront soudainement disparu, rappelle Mme Goldfeder.

Mike Blanchfield, La Presse Canadienne

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