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Entre transit et permanence

Frontière
Andréanne Bissonnette - Métro

La frontière mexicaine-étasunienne est souvent décrite comme un point de transit par celles et ceux qui la traversent quotidiennement dans un mélange de mouvements économiques, culturels et sociaux.

Durant les deux dernières années, cette impression de transit a marqué ma relation avec la frontière. Un va-et-vient entre Montréal et la zone frontalière, entre la maison et le lieu de recherche. Puis, cet automne, je me suis installée pour quelques mois à cette jonction entre deux États.

La frontière n’était alors plus un point de transit; elle est tranquillement devenue «la maison». Or, ce changement dans ma perception de la frontière était choisi. D’un lieu de transit, j’en ai fait un lieu de permanence. 

Pour des milliers de réfugié.e.s, ce choix de permanence a été imposé. Leur séjour à la frontière devait être temporaire, un point de transit entre le pays d’origine et le point d’arrivée – que ce soit pour recommencer à zéro ou pour rejoindre de la famille. Le programme fédéral «Remain in Mexico», qui oblige les demandeurs d’asile à demeurer du côté mexicain de la frontière le temps que le dossier suive son cours, touche actuellement quelques 50 000 réfugié.e.s, à six points d’entrée au Texas et en Californie. 

Le mois dernier, sans grande pompe, le département de la Sécurité intérieure a amorcé le transfert de migrant.e.s détenu.e.s ou hébergé.e.s par des refuges dans la région de Tucson en Arizona vers El Paso, au Texas. Ce changement, en apparence anodin, aura des conséquences tangibles pour un nombre important de familles. Le secteur de Tucson était alors épargné par la politique du «Remain in Mexico», alors qu’El Paso en est le cœur. Un autobus à la fois, de plus en plus de migrant.e.s sont susceptibles d’être renvoyé.e.s au Mexique, dans l’attente de leur audience pour la suite de leur procédure de demande d’asile. Puis, il y a deux jours, Nogales (ville frontalière à une heure de Tucson) a été ajoutée à la liste des points d’entrée visés par le programme. 

Retourner du côté mexicain de la frontière, c’est être renvoyé au cœur des insécurités qui sont à la base de la décision de migrer. Les migrant.e.s se trouvent entassé.e.s dans des refuges qui ne sont pas équipés pour accueillir autant de gens. Ceux-ci tentent tant bien que mal de trouver les ressources nécessaires pour assurer les besoins de base. Ils sont la proie des cartels et des gangs criminels qui attendent, tous les jours, un nouvel arrivage aux points d’entrée, repérant les migrant.e.s grâce à l’absence de lacets sur leurs chaussures (une politique de la Border Patrol étant de retirer les lacets des gens au moment où ils se font appréhender) et procédant à des enlèvements pour demander des rançons à leurs contacts aux États-Unis. Les migrant.e.s se créent des camps le long des ponts internationaux, de peur qu’en quittant cet espace, ils manquent l’appel de leur numéro. 

La frontière est encore un lieu de transit, mais ce transit est aujourd’hui réservé à celles et à ceux qui ont le bon passeport, les bons papiers et, surtout, des moyens financiers suffisants. Pour d’autres, la frontière est devenue un lieu d’attente, de permanence forcée où l’insécurité dicte le quotidien.


Chers lecteurs, notez qu’il s’agit de la dernière chronique d’Andréanne Bissonnette. 

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