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La charge virale indétectable expliquée

Le Dr Réjean Thomas Photo: Archives Métro

Vivre avec le VIH est une condition chronique. Le diagnostic est donc toujours un choc. Mais depuis quelques années, avec les progrès de la trithérapie, on entend de plus en plus parler de charge virale indétectable. Sans être un synonyme de guérison, cela amène beaucoup d’espoir pour les séropositifs. Métro s’est entretenu sur le sujet avec le Dr Réjean Thomas, fondateur de la clinique L’Actuel, dont la mission est de dépister et de traiter les infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), en plus de prendre en charge les personnes vivant avec le VIH/sida.


Qu’est-ce que la charge virale indétectable?

Quand une personne est atteinte du VIH, le virus entre dans son système, et il y a un test qui permet depuis les années 1990 de mesurer exactement à quel degré. Dans la première phase de la maladie, la primo-infection, c’est très élevé; on a des patients qui ont de 20 à 50 millions de copies de virus dans leur sang. Ils sont alors sont super infectieux.

Puis, même sans traitement, cette charge baisse pendant des années. Et à la phase sida, elle remonte. Maintenant, si on met quelqu’un sous trithérapie, après une période d’un à trois mois, la charge devient indétectable pour la majorité des gens. Le seuil de détection au Québec est de 40 copies. À d’autres endroits, c’est plutôt 200 ou 500 copies.

Une étude faite en 2008 par des experts suisses a démontré qu’en ayant une charge virale indétectable, on diminuait le risque de transmission d’au moins 96 %. Les experts pensent que si une personne a une charge virale indétectable et qu’elle n’a pas de ITSS, probablement qu’elle ne peut pas transmettre le VIH.

Y a-t-il une bonne proportion de gens, qui suivent la trithérapie, qui ont cette charge virale indétectable?
Chez nous, à L’Actuel, les gens, qui suivent la trithérapie, ont un taux de succès entre 92 % et 97 %. C’est très élevé. Ceux qui n’ont pas de succès, ce sont certaines personnes qui ont des virus résistants – c’est très rare parce que maintenant, on a des nouvelles molécules – ou des gens qui ont des problèmes d’adhérence en ce qui concerne la prise de médicaments. Par exemple, j’ai un patient qui est parti en vacances avec son conjoint et il n’a pas apporté ses médicaments. Il a infecté son conjoint pendant ses vacances. Parce que la charge virale a remonté au plafond, comme s’il retombait en primo infection. Alors c’est très important que les patients comprennent ça.

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Les patients comprennent-ils bien ce qu’est la charge virale indédectable? Confondent-ils le terme avec «guérison»?
Le plus grand danger, c’est les gens qui cessent de se protéger parce que leur charge virale est indétectable. Ça ne protège pas contre les autres ITSS. Si tu ne te protèges pas, d’abord, tu peux être réinfecté par le VIH, ça existe des cas de super infection; deuxièmement, tu peux attraper la gonorrhée, la chlamydia, la syphilis… et ce n’est pas très bon pour le système immunitaire.

Est-il possible pour la personne infectée, même si elle a moins de 40 copies du virus, de le transmettre?
Les experts suisses disent n’avoir trouvé aucun cas. Et ce n’est pas parce que les gens n’ont pas cherché, parce que les experts n’aimaient pas ça. Ça a créé un gros débat scientifique : certains disaient que cela allait encourager les séropositifs à ne pas se protéger. Je crois plutôt que cela va les inciter à se faire traiter.

Est-ce que c’est possible, même si le patient suit sa trithérapie et qu’il a une charge virale indétectable, que le niveau de copies de virus remonte éventuellement?
Il y en a qui font des petits écarts, mais normalement, ce ne sont pas des grosses augmentations qui les rendraient nécessairement très infectieux. Par exemple, au lieu de 40 copies, ils vont avoir des moments à 50 ou à 100 copies. On pense que la transmission du virus commence entre 1 000 et 1 500 copies. Toutefois, il peut arriver que quelqu’un développe une résistance. C’est pour cela qu’il faut être prudent, qu’on demande quand même aux gens de se protéger. Mais c’est comme une double protection.

Est-il possible, théoriquement, de guérir du sida?
Il y a seulement un cas de guérison (Timothy Brown, voir sous-texte) et c’est par rapport à une transplantation de cellules de la moelle osseuse. Cela dit, ça amène beaucoup d’espoir : il va peut-être y avoir de la recherche qui va permettre de trouver un remède en ce sens. On sait qu’il y a 0,3 % de la population qui ne peut pas contracter le VIH grâce à un gène. C’est donc ce gène qu’on a transplanté à [Timothy Brown]. Il y a beaucoup de recherche là-dessus, pour trouver une façon de concevoir des médicaments qui agiraient un peu comme le gène.

***

Dépistage: le Québec en retard
Le Dr Réjean Thomas estime que le système de dépistage du VIH est déficient au Québec. Mercredi, lors d’une conférence de presse, il a déploré que seulement 41 % des 18 000 personnes vivant avec le VIH soient suivies régulièrement et traitées. «On en parle beaucoup moins qu’avant, regrette-t-il. C’est une maladie pénible, un problème grave de société, mais, malheureusement, j’ai l’impression que ce n’est plus une priorité de santé publique.»

Il a rappelé que l’épidémie de VIH continue au Québec, précisant que de 300 à 450 nouveaux cas sont déclarés chaque année.

Le Dr Thomas estime que pour remédier à cette situation, le mot d’ordre est dépistage. Il souhaite que les médecins de famille et les gynécologues, par exemple, proposent systématiquement le test pour dépister le VIH à leurs patients, même si ceux-ci ne font pas partie de la catégorie «à risque». «L’important, c’est de dépister rapidement la maladie pour pouvoir débuter les traitements le plus tôt possible.»

C’est pourquoi le Dr Thomas et son équipe de la clinique l’Actuel ont ouvert la clinique l’Actuel sur Rue (AsR) en juillet. La clinique, située dans le village gai, se spécialise dans le dépistage et a des heures d’ouverture flexibles. Aucun médecin n’a besoin d’être sur place, ce qui a ses avantages en temps de pénurie, dans cette clinique qui a été entièrement financée par L’Actuel.

Réjean Thomas souhaite que le ministre de la Santé, Réjean Hébert, avec qui il a discuté de la situation cette semaine, l’aide à financer sa nouvelle clinique sans rendez-vous et s’inspire de son modèle pour ouvrir d’autres centres de dépistage un peu partout au Québec.

Timothy Brown: le miraculé

L’Américain Timothy Brown est la seule personne au monde qui ait guéri du sida. Déclaré séropositif en 1995, il n’a plus montré de signe d’infection depuis 2007. L’homme souffrait d’une leucémie; on lui avait annoncé pour une deuxième fois qu’il allait mourir.

Il a subi deux greffes de moelle osseuse provenant d’un donneur qui possédait un gène résistant au VIH. Seulement 0,3 % de la population mondiale serait doté de ce gène. Depuis, de nombreuses biopsies auraient confirmé la disparition du virus dans le corps de M. Brown. La communauté scientifique est toutefois divisée sur ce cas exceptionnel.

Lexique:

  • VIH: Virus de l’Immunodéficience Humaine. Il s’agit d’un microbe qui vient affaiblir le système immunitaire.
  • Sida: Syndrome de l’Immunodéficience Acquise. C’est le stade avancé de l’infection, lorsque le VIH s’est assez développé pour que le patient développe des signes de l’infection.
  • Primo-infection: il s’agit de la première phase du VIH. Elle se traduit par des symptômes s’apparentant à ceux d’une forte grippe ou d’une mononucléose. Elle se termine au bout de quelques semaines après que le virus ait pénétré dans le corps.

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