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Alain Deneault: «Nous avons assisté à la défaite de l’extrême centre»

Photo: Josie Desmarais/Métro

«Le 8 novembre, nous avons assisté à la défaite de l’extrême centre. Je suis un peu comme tout le monde, j’ai été pris de court…» note Alain Deneault, qui publie en ce jeudi un livre tristement à propos.

Dans ce nouvel essai, qui s’inscrit dans la lignée de Gouvernance – Le management totalitaire et de La médiocratie, le philosophe offre une réflexion sur l’extrême centre. Une notion qui cherche à supprimer la dialectique gauche-droite. Et qui n’est guère «le présage de bonnes nouvelles». «En se présentant au centre, on se présente comme étant pondéré, pragmatique, rationnel, raisonnable, alors qu’on se réclame de ces épithètes sur un mode arbitraire, souligne-t-il. On présente quelque chose qui est extrêmement problématique, qui est le programme capitaliste de l’heure dans ce qu’il a de destructeur et d’inique, sous des apparats de neutralité.»

Au fil des pages de Politiques de l’extrême centre, introduit par des illustrations de Clément de Gaulejac, Alain Deneault explique que ce mode confus suscite «des formes d’adversité qui ont pour credo le “parler-vrai”».

Un parler-vrai qui se traduit par «une politique de dérapage, de l’outrance et de la goujaterie qui tient lieu de sain contre-discours, jusqu’à ce que des candidats aux plus hautes fonctions de leur pays les relaient avec un sidérant aplomb» et usent d’une «séduction de type reptilien». Ça vous rappelle sinistrement quelqu’un?

Dans cet essai, vous parlez beaucoup du «mais». Un «mais» de plus en plus souvent employé pour se déclarer «de gauche, mais», «de droite, mais», ou, spécifiquement aux États-Unis, «libéral, mais de gauche». Un «mais» dangereux?
Le problème, c’est que lorsque le «mais» saute, c’est pour dire sensiblement la même chose que l’on dit avec des «mais», sur un mode strictement affirmé. Ce n’est pas ce «mais» historique, majuscule qui consisterait à dire MAIS globalement. Cela témoigne d’une confusion qu’entretiennent les tenants de l’extrême centre qui ont tout fait pour gommer les différences pouvant se reconnaître sur l’axe gauche-droite. Pour rendre la gauche et la droite de plus en plus similaires en subsumant les discours sous des impératifs de gestion, d’administration, en présentant les mesures comme étant inévitables, réalistes, raisonnables, rationnelles. Pour rendre impossible toute dialectique.

Vous notez à quel point il est important de dépasser le stade de l’indignation. À quel point il est important de «cesser de s’indigner» et de «passer à la question suivante».
Qu’est-ce qu’on fait après s’être indigné? On ne va pas s’indigner encore! On ne peut pas se RÉ-indigner. Ça va devenir un spectacle, quoi.

Pensez-vous que durant toute cette campagne électorale américaine, trop de gens sont justement restés coincés dans une posture d’indignation?
Ce qui est triste, c’est qu’on est face à une technocratie qui habille les violences symboliques traditionnelles d’une sorte de légitimité, de douceur. Mais, au fond, ce qui émerge de ces propos violents, ce sont des formes annoncées de fascisme. On a quelqu’un [Donald Trump] qui dit à son adversaire [Hillary Clinton] que s’il était au pouvoir, soit elle serait en prison, soit on l’aurait assassinée. Qui tient sur les femmes des propos que l’on n’arrive même pas à répéter tellement ils sont orduriers. Il est étonnant que la violence dont témoignent ces prises de position soit perçue par un certain électorat comme une violence contre le système, alors que c’est celle du système qui est en cause.

«Trump ne sera pas dépaysé à la Maison-Blanche. Et il ne va pas la transformer. Il va simplement la reconnecter à ses sources violentes puisque les États traditionnels policés qu’on a eus ont pour origine des guerres, des conquêtes, des processus coloniaux, colonialistes, impérialistes, asservissants.»

Vous parlez dans ce livre de l’individualisme, qui selon vous, est une «conception de soi, qui n’émane pas de soi et ne va pas de soi», qui «tend à produire un sujet s’essayant forcément à se sauver lui-même en cultivant le narcissisme de la petite différence»…
… c’est une maladie! Une pathologie de l’esprit. Un conformisme. L’individualisme est le fruit d’une intention idéologique. Quand on se conçoit comme individu, on se conçoit, forcément, comme impuissant, atomisé, seul et dépendant. Alors que l’histoire nous montre que les avancées se font toujours sur un plan social, collectif. Nous devons d’une part réapprendre à penser collectivement, à nous penser sur le mode d’un nous qui n’est pas un nous ethnique, pas un nous national, pas un nous fermé, pas un nous de classe, mais un nous social.

Le résultat de cette élection est-il une manifestation absolue de cet individualisme, selon vous?
Effectivement, on déclarait sur un mode technocratique et managérial (ce qui est le mode prisé par l’extrême centre) qu’on n’avait d’autre choix que de mettre à mal les institutions vouées au bien commun, les services publics et les enjeux collectifs. Qu’il fallait les liquider au nom de nécessités historiques, d’une évolution de la mondialisation, d’une gestion nécessaire.
Les politiques iront encore plus loin en ce sens, mais on aura simplement droit à des acteurs qui assumeront la violence en cause. Qui ne voudront plus s’embarrasser d’alibis sur le caractère raisonnable, pondéré, nécessaire, rationnel de ce qu’ils font.

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Politiques de l’extrême centre
En librairie
Chez Lux Éditeur

 

 

Insoumission
«C’est inquiétant. Très inquiétant», remarque Alain Deneault au sujet du résultat des élections du 8 novembre. Ce qui est inquiétant aussi? «Soit nous sommes dans l’emballage de l’extrême centre qui nous dit qu’on n’a d’autre choix que d’être pondérés, neutres, rationnels et managériaux, soit nous sommes face à des formes violentes d’expression de ce même pouvoir.»

«Ce qu’il faut comprendre, c’est que Trump révèle le caractère déjà radical des positions d’extrême centre, ajoute le professeur. Il fait seulement aller plus loin en rappelant les origines des institutions et en les revendiquant. L’idée, c’est de ne surtout pas se laisser soumettre aux termes idéologiques d’un pouvoir qui assume sa violence plutôt que de la dissimuler.»

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