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Under the Sun: Une vie à l’ombre en Corée du Nord

Photo: Icarus Films/Collaboration spéciale

Under the Sun est un «documentaire lancé et approuvé par le régime nord-coréen». Under the Sun est tout le contraire de ce que cette phrase pourrait laisser craindre.

Pendant un an, le cinéaste russe Vitaly Mansky a tourné en Corée du Nord. Tourné, supposément, des tranches de «vraie vie». Tourné, en réalité, un scénario imposé par Pyongyang, dont les images étaient scrupuleusement visionnées, charcutées, approuvées. Tourné egalement, en secret, sur une carte mémoire camouflée, de réelles séquences de ce que peut être le quotidien dans la capitale.

En «collaborant» avec le réalisateur, le régime s’attendait à donner naissance à un film de propagande offrant une incursion privilégiée dans les coulisses de l’autoproclamé «plus beau de tous les pays». Au final, le mot «coulisses» s’avérera des plus appropriés. Devant les images rapportées, avec approbation et sans, on se sent comme dans un théâtre des plus sinistres. Au centre d’une mise en scène perpétuelle.

En effet, sans savoir qu’ils sont filmés en douce par Vitaly Mansky, des hommes en noir dirigent les moindres détails de son «documentaire». Ils ordonnent à une petite fille de ne pas «jouer comme si elle était dans un film; simplement naturellement, comme lorsqu’elle est à la maison». Ils exigent une prise, puis une autre, puis une autre encore, de ce souper familial où ses parents vantent les vertus du «kimchi, ce plat traditionnel qui protège contre le cancer» en riant joyeusement, ha ha ha, des grandes connaissances de leur enfant. («Encore plus de rire! Plus de rire!»)

Dans un instant surréaliste, on voit le père parcourir les feuilles du scénario et apprendre les répliques qu’il devra ensuite lancer «spontanément». Par-dessus son épaule, sa femme révise les siennes.

Les cris de «Action!» rythment du reste l’ensemble, rappelant perpétuellement le côté feint de la performance. Tandis que le malaise grandit, la peine s’installe. Qu’est-il arrivé à cette famille? À cette petite fille de 8 ans, cœur du film, qui n’arrive pas à retenir ses larmes, car elle a trop mal à force de pratiquer une danse, «plié, plié, plié», pour célébrer le Jour de l’étoile brillante, fête nationale rendant hommage à Kim Jong-il. Puis le Jour du Soleil, à la gloire de Kim Il-sung. «Encore une fois! Avec joie! Et patriotisme!»

L’impact de ce documentaire réside, entre autres, dans le choix pris par le cinéaste de laisser les images parler. De privilégier des plans qui, dans leur longueur, laissent percevoir d’infimes et si parlants détails. Des moments furtifs de subversion dans un tableau sinon impeccablement retenu. Une écolière qui lutte contre le sommeil en écoutant le récit d’un vétéran bardé de médailles, un garçon qui tire la langue pendant un événement officiel, une dame qui ajuste sa manche en scandant une chanson à la gloire du régime.

Autre plus : la direction photo d’Alexandra Ivanova, qui privilégie les contrastes. Dans les scènes approuvées par Pyongyang : lumière éclatante, couleurs vives, intérieurs immaculés, teints flamboyants, sourires. Dans celles captées sans autorisation : corridors sombres et gris, bâtiments défraîchis, élèves se pressant autour du radiateur emmitouflés dans leurs manteaux, travailleurs crevés qui s’empilent sur l’escalier roulant, le visage posé dans la main pour cause d’épuisement.

Le résultat oscille perpétuellement entre l’absurde et le tragique. Reste que les dramatiquement comiques instants auxquels mènent ces dérives ne sont pas soulignés à gros traits. La tentation aurait pu être grande pour un cinéaste de faire regardez, regardez, ha, n’importe quoi. Mais il n’y a rien de drôle à voir ces enfants aux visages remplis de douceur et d’innocence qui se voient forcés de répéter et répéter et répéter mécaniquement la leçon du jour. «Haïr l’ennemi. Haïr tout particulièrement ces crapules d’Américains. Jeter des roches sur les adversaires.» Encore une fois. «Haïr l’ennemi. Haïr encore plus. Jeter des roches.» Et un dernier pour la route. «Haïr. Haïr. Jeter.» Quel film.

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