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Del Toro sous toutes ses formes

Photo: Twentieth Century Fox

Fidèle à son style, le cinéaste mexicain Guillermo del Toro est de retour avec The Shape of Water (La forme de l’eau), qui met en scène une histoire d’amour entre une femme de ménage sourde et muette et une créature aquatique tirée de l’Amazonie, le tout dans le contexte de la guerre froide. Après des années de démarches, le film prend l’affiche vendredi à Montréal, à temps pour la course aux Oscars. Métro s’est entretenu avec le réalisateur.

Pourquoi la réalisation de ce film vous a-t-elle pris autant de temps?
Ça m’a pris six ans. Au départ, le film était beaucoup plus complexe. Ce devait être un film de monstres classique, dans lequel une expédition se rendait en Amazonie et trouvait une créature. Le personnage féminin tombait en amour avec elle lorsqu’elle se rendait compte que la créature était bien plus intéressante que les deux scientifiques crétins qui l’accompagnaient. Mais ça n’a pas marché, ça ne pouvait pas marcher. J’ai remisé le projet. En 2011, Daniel Kraus, avec qui j’ai travaillé sur Trollhunters, m’a parlé de son idée d’une histoire d’amour entre une ménagère et une créature retenue prisonnière dans un complexe gouvernemental. Je me suis dit: «Voilà la bonne façon de faire!»

C’est ce qui a lancé la production?
D’une certaine façon, oui. J’ai financé de ma proche les premières étapes de production. Ensuite, en 2014, j’ai présenté le projet au studio, comme je l’avais fait pour Pan’s Labyrinth. Je leur ai montré les modèles réduits et les dessins et je leur ai raconté l’histoire du début à la fin. À la fin, ils m’ont dit en pleurant: «Nous allons le faire.» Ils voulaient alors qu’on tourne en noir et blanc. J’ai rétorqué qu’un film politique comportant une histoire d’amour entre une femme et un poisson ne pouvait pas être tourné en noir et blanc. Ce fut ma seule exigence: tourner en couleurs.

La sexualité semble très importante dans le film. Avez-vous dû vous battre pour l’imposer dans le projet?
Il existe beaucoup d’histoires qui rappellent La Belle et la Bête. Certaines sont très pures, voire puritaines. Il n’y a jamais de sexe, puisque la bête se transforme en prince. D’autres histoires sont tordues et perverses. Ces deux extrêmes ne m’intéressaient pas. Je voulais seulement écrire une histoire d’amour qui faisait une place
à la sexualité.

Est-ce la raison pour laquelle le film est si sensuel?
Oui. Mais il était aussi important pour moi qu’Elisa [Sally Hawkins] ne soit pas une princesse parfaite. Elle a tout de même une certaine pureté intérieure. Parfois, les gens confondent pureté et innocence. Ils estiment qu’en vivant notre sexualité, nous perdons notre pureté. Mais ce n’est pas vrai. Ce n’est pas un film racoleur, c’est très doux.

D’une certaine façon, est-ce une histoire personnelle pour vous, vous qui avez toujours aimé les monstres?
La plus belle chose au monde est la perfection. Et l’imperfection n’est jamais aussi bien représentée que par mes monstres. L’imperfection est une forme de tolérance. Et les monstres en sont le plus bel exemple. Le plus grand geste d’amour que nous puissions faire en tant qu’êtres humains est de se regarder les uns les autres. Si vous me voyez, j’existe. Je vous vois comme vous êtes. Je ne veux pas que vous soyez différent. Les monstres se présentent exactement comme ils sont. Pour eux, il est impossible de mentir. C’est pourquoi ils sont si importants.

Votre fascination pour les monstres et votre regard particulier proviennent-ils de votre culture mexicaine?
Plutôt de mon côté déjanté! J’ai fait des films avec 1M$US et d’autres avec 96M$US. Je ne fais partie d’aucune catégorie. Je suis entre le film d’auteur et le film de genre. Je n’existe que dans l’espace où je suis bien. J’aurais pu tourner 20 films au lieu de 10. Mais je suis trop têtu pour ne pas faire les choses à ma manière

«Il existe une belle tradition d’hommes amphibiens. Je ne les aime pas tous, mais je me suis inspiré d’une gravure japonaise. Je voulais que l’homme-poisson soit noir avec quelques touches de couleur. Ça m’a pris trois ans. Le processus a commencé en 2013 et ne s’est terminé que lorsque le tournage a débuté.» –Guillermo del Toro, réalisateur

Donald Trump est entré à la Maison-Blanche alors que le projet était en cours d’élaboration. Êtes-vous aux prises avec certains problèmes aux États-Unis?
Je suis mexicain! Je dois passer au travers du système d’immigration. Ce n’est pas facile. Ça n’a jamais été facile. Avec l’administration Obama, les forces qui s’opposent au progrès étaient aussi vivantes qu’aujourd’hui. Les États-Unis sont nés d’une guerre civile, entre le Nord et le Sud. La blessure n’a jamais guéri. Ces choses étaient évidentes, même avant Trump. Même si le film se déroule en 1962, je voulais parler de l’époque actuelle, de la haine, de l’intolérance et du cynisme.

Alors, pourquoi l’action se déroule-t-elle en 1962?
Ce fut une période cruciale pour l’Amérique. Ce fut une époque où on envisageait l’avenir avec optimisme. Kennedy était à la Maison-Blanche, mais il allait se faire tuer quelques mois plus tard. La guerre du Vietnam débutait en catimini. Le rêve tirait à sa fin. Lorsque des Américains disent: «Make America great again», ils pensent à 1962: les superusines, les robots automatisés, les autoroutes géantes. Le moment où Kennedy a été abattu représente un point de rupture. Tous les problèmes qui existaient en 1962, comme le racisme, le sexisme et les autres ismes, sont encore présents aujourd’hui.

Avez-vous été heureux de pouvoir tourner «votre» film, surtout après l’épisode du Hobbit? [NDLR: Guillermo del Toro a abandonné la production après la faillite des studios MGM.] Comment avez-vous vécu cet échec?
Très mal. Je voulais tout détruire. Ç’a été horrible. Mais ça fait partie du business. De plus, c’était ma décision de me retirer. Lorsque les gens me demandent pourquoi j’ai autant de projets, je leur réponds que la plupart ne se concrétisent pas. J’ai écrit 22 scénarios, un par année. Et la conception d’un film prend deux ou trois ans C’est la façon d’y parvenir.

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