La femme à la caméra
De Micheline Lanctôt à Agnès Varda, de Leni Riefenstahl à Kathryn Bigelow, en passant par Mira Nair ou Marguerite Duras, les réalisatrices seront à l’honneur tout l’été à la Cinémathèque québécoise. Une occasion de (re)découvrir certains chefs-d’œuvre, mais aussi de s’interroger sur la place des femmes dans le toujours très masculin milieu du cinéma.
L’institution présente jusqu’au 26 août le cycle Femmes, femmes, une rétrospective en 100 films de la contribution des femmes au cinéma mondial.
Des films marquants salués par la critique comme The Piano (La leçon de piano), de Jane Campion, seule réalisatrice à avoir remporté la Palme d’or à Cannes, ou controversés comme Baise-moi, de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi.
Des films à thématiques politiques (Les années de plomb, de Margarethe von Trotta), sociales (Hush-a-Bye Baby, de Margo Harkin) ou féministes (Mourir à tue-tête, d’Anne Claire Poirier).
Mais aussi des films noirs (The Hitch-hiker, d’Ida Lupino), fantastiques (Near Dark, de Kathryn Bigelow), de science-fiction (Born in flames, de Lizzie Borden) ou d’horreur bien sanglants, comme Freddy’s Dead: The Last Nightmare 3D, de Rachel Talalay.
«On veut montrer que des femmes ont fait des films de tous genres, à toutes les époques, souvent de grands films», résume Marcel Jean, directeur général de la Cinémathèque.
Une façon aussi de redonner la place qu’elles méritent à des artistes souvent laissées dans l’ombre.
«À la Cinémathèque, nous travaillons avec des matériaux historiques. S’il y a eu un biais systémique qui a désavantagé les femmes dans l’histoire du cinéma, on le reflète nécessairement dans notre programmation. Des cycles comme celui-là doivent être faits pour corriger ce biais et pour provoquer des changements à long terme.»
Selon le collectif Réalisatrices équitables, qui «vise à atteindre l’équité pour les femmes dans le domaine de la réalisation au Québec», les femmes représentaient en 2016 31 % des membres de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec.
«Il ne faut pas seulement être témoin des changements, il faut aussi contribuer à les provoquer.» – Marcel jean, directeur de la cinémathèque québécoise
Les femmes ne réalisent qu’entre 15 et 28 % des projets acceptés par des institutions de financement comme la SODEC et Téléfilm Canada et ne reçoivent que de 11 à 19 % des enveloppes budgétaires consacrées aux longs métrages de fiction et documentaires.
«C’est une industrie encore très masculine, plaide la réalisatrice Sophie Deraspe (Rechercher Victor Pellerin, Les signes vitaux), une des porte-parole du cycle Femmes, femmes. On n’a qu’à regarder les gagnants aux Oscars ou à Cannes. C’est un paquet d’hommes et deux belles actrices en paillettes qui ont gagné dans les catégories Meilleure actrice et Meilleure actrice de soutien.»
«Quand j’étudiais le cinéma à l’université, la moitié de ma cohorte était constituée de filles, observe la cinéaste de 44 ans. Le désir de faire du cinéma est présent chez les femmes aussi. Mais au final, il n’y en a pas beaucoup qui se rendent à l’étape du financement de leurs films. Il y a encore du travail à faire.»
Les choses ont déjà commencé à changer du côté des institutions gouvernementales, principaux bailleurs de fonds de l’industrie cinématographique québécoise.
L’ONF et Téléfilm Canada sont en bonne voie d’atteindre leur objectif d’une répartition 50-50 entre hommes et femmes, tant au chapitre des projets financés qu’à celui des budgets alloués. La SODEC s’est également dotée d’un plan d’action pour atteindre la parité d’ici 2020.
Les obstacles restants sont avant tout culturels, selon Sophie Deraspe.
«On n’a pas l’habitude de donner le pouvoir créateur à des femmes. La notion de génie artistique a toujours été attribuée à des hommes, rappelle celle qui vient de terminer le tournage de son deuxième long métrage de fiction, Antigone. On a des biais inconscients qui disent qu’un homme va faire une meilleure œuvre qu’une femme. Évidemment, lorsqu’on regarde les faits, les femmes qui réussissent à faire des films accumulent des prix et marquent l’histoire autant que les hommes.»
«À un jeune réalisateur, on va dire de foncer. À une jeune femme, on va lui demander si elle en est vraiment capable, si elle est prête à assumer autant de responsabilités, poursuit Sophie Deraspe. Culturellement, on confine la femme à un espace beaucoup plus petit, celui de la maison. Ces mentalités changent tranquillement. Pour faire changer les choses un peu plus vite, il faut parfois des initiatives un peu plus radicales.»
«On en est rendu là parce que le milieu du cinéma n’a pas su s’autoréguler, n’a pas su avancer dans cette direction par lui-même, ajoute Marcel Jean. Il faut des règles pour faire en sorte que ça bouge.»
Un peu d’info
Femmes, femmes
À la cinémathèque québécoise jusqu’au 26 août