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En se moquant des stéréotypes, Astérix critique l'éthnocentrisme

PARIS – A l’occasion des 50 ans d’Astérix et Obélix, Nicolas Rouvière,
chercheur en littérature populaire et de jeunesse, explique les raisons
du succès de la série et propose une grille de lecture sociale,
politique et même psychanalytique des aventures des deux Gaulois. En se
moquant des stéréotypes et des clichés sur les peuples, la BD est une
critique vivante et universelle de l’ethnocentrisme, dit-il dans un
entretien à l’Associated Press.

AP: Malgré ses cinquante ans, la série Astérix et Obélix se vend-elle toujours bien?

Nicolas Rouvière: « En France comme à l’étranger, c’est une bande
dessinée encore très en vogue. Outre un effet de collection des albums,
la nostalgie, la fidélité, la curiosité demeurent. Il y a un
attachement à cette série depuis plusieurs générations, avec un public
qui se renouvelle, grâce à la bonne diffusion des albums, notamment en
bibliothèques, mais aussi au travail de promotion des éditions
Albert-René et un important réseau d’éditeurs à l’international. Le
lectorat étranger ne cesse de grandir. Parfois même, comme en
Allemagne, cela dépasse le succès français ».

AP: Qu’est-ce qui plaît tant dans Astérix et Obélix?

Nicolas Rouvière: « En premier lieu, le graphisme extrêmement lisible
d’Uderzo, très influencé par le style Disney, un comique qui fonctionne
à plein, une jubilation à représenter des scènes de bagarres (ce qui
plaît beaucoup aux enfants) dans une dimension pulsionnelle, mais
non-violente car les corps sont dématérialisés. »

« Ensuite, grâce à la grande culture de Goscinny, il y a des niveaux de
lecture et de comique pour tous les publics. Les clichés et références
françaises et étrangères (spécialités culinaires, lieux touristiques,
institutions…) sont transposés à l’époque gallo-romaine, ce qui crée
une proximité avec le lecteur. Plus encore, ces stéréotypes sont
parodiés, moqués et dépassés, portant une critique du chauvinisme et de
l’ethnocentrisme, d’où une certaine portée universelle de l’oeuvre.
Notamment du fait des origines étrangères des auteurs, c’est la
question de la frontière entre ‘barbare’ et ‘civilisé’ qui revient dans
toute l’oeuvre. »

AP: Y a-t-il d’autres niveaux de lecture?

Nicolas Rouvière: « Selon les albums, surtout ceux parus après 1968, les
adultes peuvent aussi trouver une dimension satirique dans certaines
dérives de la société: marketing politique ("Obélix et Compagnie"),
grands ensembles urbanistiques ("Le Domaine des Dieux"), réseaux
mafieux commerciaux ("Astérix aux Jeux Olympiques"), opacité bancaire
("Astérix chez les Helvètes"). »

« Enfin, il y a une lecture politique décrivant différents modèles de
société: le village d’Astérix est la petite démocratie turbulente,
République laïque, avec comme idéal l’éducation; l’Empire Romain de
César est la représentation de l’Etat autocratique, l’Egypte de
Cléopâtre, un Etat théocratique; enfin les peuples barbares, comme les
Goths, représentent les sociétés totalitaires, et symbolisent les
Nazis. »

AP: Quelles sont les raisons profondes du succès d’Astérix?

Nicolas Rouvière: « En France, le succès de la série, née en 1959, tient
d’abord à une concomitance avec l’aspiration populaire à célébrer la
Résistance, conjuguée à la reprise du mythe gaulois des origines,
extrêmement populaire depuis sa diffusion dans les manuels scolaires,
mais vidé de ses connotations nationalistes. »

« Pour l’étranger, comme dans de nombreux mythes, c’est sans doute le
thème universel de la résistance du petit contre le fort, d’un milieu
local contre une puissance impérialiste et l’uniformisation forcée, qui
touche les lecteurs. »

AP: Quel est votre personnage préféré dans la BD?

Nicolas Rouvière: « Le personnage le plus complexe et le plus
intéressant est sans conteste celui d’Obélix, dont j’ai développé une
lecture psychanalytique. Naïf, complexé, Obélix est la figure de
l’enfant, qui se construit au fur et à mesure des épisodes, qui,
partant d’un réflexe ethnocentré ("Ils sont fous ces… »), va apprendre
le flamenco ou la taille des menhirs à l’égyptienne au fil de ses
voyages, et s’ouvrir à l’autre. Le mystère du jour où il est tombé dans
la marmite de potion magique est celui de sa seconde naissance, symbole
de sa séparation avec le narcissisme infantile, aidé en cela par le
druide, figure du père. »

Nicolas Rouvière est maître de conférence à l’IUFM de Grenoble, auteur
de deux ouvrages: « Astérix ou les lumières de la civilisation » (PUF/Le
Monde, 2006) et « Astérix ou la parodie des identités » (Flammarion,
2008). Il prépare un troisième livre consacré à la figure d’Obélix.

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