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Miracle à Eureka Springs

Photo: Collaboration spéciale

Pour vivre ensemble, il faut se comprendre. Dans une Amérique de plus en plus polarisée, la petite ville d’Eureka Springs, en Arkansas, aussi célèbre pour ses représentations de La Passion du Christ que pour ses performances de drag, a réalisé cet exploit. Mais celui-ci repose sur un équilibre fragile, montrent Donal Mosher et Micheal Palmieri dans leur documentaire The Gospel of Eureka.

La population d’Eureka Springs, très pratiquante, exprime sa foi religieuse dans deux formes de performances très distinctes en apparence, mais qui ont en fait beaucoup en commun.

La ville de quelque 2000 habitants est l’hôte d’une des plus célèbres représentations de la pièce La Passion du Christ. Plusieurs mois par année, celle-ci est représentée dans un immense théâtre en plein air qui attire bon nombre de visiteurs.

En parallèle, près de la moitié de la population est issue de la communauté LGBTQ+. Celle-ci se rassemble régulièrement dans un bar géré par un couple gai où ont lieu des performances de drag queen mettant notamment en vedette des bonnes sœurs.

Contradictoire, tout ça? Au contraire. Les habitants d’Eureka Springs semblent cohabiter harmonieusement. Même qu’une femme trans et un homme gai (un des propriétaires du bar mentionné ci-haut) vivent leur foi librement et sans complexe.

«Leurs témoignages nous ont étonnés, c’est ce qui nous a donné envie de nous attarder dans cette ville et de faire ce documentaire», indique Donal Mosher.

Les deux réalisateurs, eux-mêmes de la communauté LGBTQ+, n’avaient jamais vécu une telle expérience. «J’ai grandi dans le sud des États-Unis, mais il fallait que je parte tellement c’était un environnement homophobe. Si j’avais été dans une ville comme Eureka Springs, peut-être que je n’aurais pas senti ce besoin», affirme celui qui vit désormais à Portland, en Oregon.

Dans une scène très évocatrice de The Gospel of Eureka, on voit des drag queen se maquiller en prévision de leur performance, puis, tout juste après, les acteurs de La Passion du Christ faire de même. Plus similaires qu’on le croirait, ces spectacles?

«Dans La Passion, les acteurs récitent leurs répliques en lip sync, ils se maquillent et leur performance est chorégraphiée. Ça rassemble tous les éléments d’un show drag! Ce serait insultant pour plusieurs d’entre eux d’entendre ça. Pourtant, c’est une manifestation de leur identité, tout comme le drag l’est pour les LGBTQ+», souligne Donal Mosher.

«C’est très facile d’être négatif. C’est beaucoup plus dur de tenter de réduire le fossé qui s’est creusé aux États-Unis, d’établir un dialogue, ou du moins de comprendre les zones grises.» – Michael Palmieri

Après tout, des deux côtés, l’objectif est le même : donner un show. «Dans un spectacle de drag, on oublie qu’il ne s’agit pas d’une vraie femme et que celle-ci ne chante pas pour vrai. Peu importe, parce que la magie opère et qu’on se sent transporté. Le public de La Passion du Christ veut vivre la même chose», ajoute-t-il.

Il faut dire que la communauté religieuse d’Eureka Springs est relativement progressiste. Un prêtre l’explique très clairement dans le documentaire lors d’un sermon devant des fidèles. «Si nous ne pouvons pas nous aimer les uns les autres, nous ne pouvons pas honorer la Bible», dit-il.

Ainsi, si on est étonné de voir une femme trans prier sur les bancs d’une église, on l’est tout autant devant ce père de famille, propriétaire d’un magasin de t-shirts chrétiens (dont le meilleur vendeur dit «“I Got this” – God») qui éduque ses enfants à la tolérance.

Modèle fragile
Cet exemple de vivre-ensemble est toutefois très précaire. «On a tourné le film avant l’élection de Donald Trump», précise Donal Mosher. Selon les cinéastes, il serait difficile de recréer ce modèle en 2018.

Même que les acquis sont fragiles. On en a un bon aperçu dans The Gospel of Eureka, qui présente en trame de fond un débat de société autour de l’ordonnance 2223, qui visait il y a quelques années à protéger les droits des personnes LGBTQ+.

Car si la petite ville se démarque par son ouverture d’esprit, la droite évangélique y est tout de même présente, et elle a fait beaucoup de bruit lorsqu’est venu le temps de contester cette ordonnance.

Pas plus tard que cette semaine, les élections de mi-mandat ont démontré encore une fois le fossé qui divise la société américaine.

Il faut travailler à réduire cet écart qui se creuse en allant vers l’autre, prônent les cinéastes. «Nos médias ici, tant de gauche que de droite, sont tellement concentrés à montrer les points de vue extrêmes. Pourtant, il faut comprendre les nuances», estime Donal Mosher.

C’est pourquoi les deux hommes ont cherché à comprendre ce qui anime la droite évangélique américaine en donnant la parole à certains de ses représentants. «Émotivement, ce n’était pas facile pour nous, parce qu’ils nous mettent en colère. Mais on a voulu rester juste et équitable», dit le co-réalisateur.

«Ça aurait été très facile de réaliser un film complètement différent avec le matériel qu’on a tourné, ajoute son collègue Michael Palmieri. On aurait pu être très négatif envers les évangéliques, mais ça aurait été trop facile et ça n’aurait rien apporté au dialogue national ni au public qui va voir le film.»

«C’est bien plus important d’essayer de comprendre pourquoi les gens se sentent comme ils se sentent. On peut tous être différents, mais on doit d’une façon ou d’une autre trouver un juste milieu pour s’entendre.»

Ce juste milieu passe par une meilleure compréhension les uns des autres, selon lui. En ce sens, Eureka Springs est un modèle à petite échelle de ce que le dialogue national devrait être, croit Donal Mosher.

«Ces interactions tranquilles et humaines du quotidien doivent être montrées en exemple. On espère que le film contribuera à cet effort.»

D’autant plus que, comme le dit son collègue, il s’agit d’un documentaire «riche, parce qu’il est très comique, tout en étant dramatique – voire tragique – et en abordant des enjeux politiques et sociaux».

The Gospel of Eureka, samedi à 21h au Cineplex Odéon Quartier Latin et dimanche à 18h au Cinéma du Parc dans le cadre des RIDM.

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