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À tous ceux qui ne me lisent pas: transmettre l’amour de la poésie

Connaissez-vous Yves Boisvert? Pas le chroniqueur judiciaire, le poète. Six ans après son décès dans un relatif anonymat, le cinéaste Yan Giroux lui redonne vie dans le film À tous ceux qui ne me lisent pas.

Pour son premier long métrage, le jeune cinéaste a puisé dans la rencontre marquante qu’il a faite, adolescent, avec cet homme profondément libre et rebelle.

Le film relate ainsi l’entrée fracassante d’Yves Boisvert (Martin Dubreuil) dans la vie de Marc (Henry Picard), étudiant au secondaire. Au départ méfiant devant cet homme qui débarque chez lui (et dans le lit de sa mère), Marc finit par l’apprivoiser et être transformé par sa présence.

Marc est en quelque sorte l’alter ego de Yan Giroux. Au contact d’Yves Boisvert, le jeune homme s’est découvert une passion pour le cinéma. Métro a rencontré le réalisateur au Festival de cinéma international de Rouyn-Noranda, où le film a été présenté en première mondiale, en compagnie de son coscénariste, Guillaume Corbeil.

Votre film est inspiré de la vie de Yan, finalement?
Guillaume Corbeil: À force d’écouter Yan raconter son expérience, on a compris que le cœur du film, c’était l’influence qu’Yves a eue sur lui. On voulait présenter Yves comme une figure. Ça parle de tous les artistes comme lui. À partir de là, on s’est permis plein de libertés.

Vous avez notamment situé le récit en 2018 alors qu’Yves Boisvert est décédé en 2012…
Yan Giroux: On voulait le rendre vivant maintenant, parce que ce pour quoi il se battait est toujours pertinent aujourd’hui. Ce n’était pas intéressant pour nous d’aller 10 ans en arrière. On voulait qu’il regarde le monde dans lequel on vit et qu’il y réagisse. On savait que son regard serait critique et qu’il pourrait nous apprendre des choses.

Quel impact son œuvre a-t-elle eu sur vous, Yan?
Y. G.: À l’époque, j’écrivais beaucoup de poésie. Avant de rencontrer Yves, je lisais du Rimbaud, du Baudelaire, du Nelligan et les poètes maudits du XIXe siècle. Yves m’a permis de m’ouvrir à la poésie contemporaine québécoise, à me détacher de la rime. Il a aussi été un modèle non traditionnel par rapport aux gens que je côtoyais quotidiennement. Il avait un espace de liberté plus grand que la norme. C’est quelqu’un qui m’a donné le droit de rêver à une vie différente, hors norme.

Comment se fait-il que son œuvre ne soit pas connue?
Y. G.: Dans les années 1970, les poètes étaient des figures reconnues au même niveau que certaines rock stars. Petit à petit, c’est un art qui est tombé dans la marge.

G. C.: C’est aussi quelqu’un qui refusait toute forme de succès et de reconnaissance. Dès qu’il sentait que quelque chose se pouvait, il le sabotait. Il avait une méfiance face au succès à une époque où tout le monde veut passer à Tout le monde en parle.

Y. G.: Il n’avait pas peur de confronter le monde avec des mots et une façon d’être qui n’est pas aussi polie que ce à quoi on est habitués.

Yves Boisvert refusait toute forme de compromis. Sentez-vous que vous avez fait un film à son image?
Y. G.: On a fait plus de compromis pour ce film qu’Yves en a fait. Au départ, on voulait faire un film expérimental en noir et blanc sans trame narrative…

G. C.: Je ne vois pas ça comme un compromis, au contraire. On a fait le geste d’aller vers l’autre. Le film transmet l’amour de la poésie. On n’aurait pas pu faire ça avec un film en noir et blanc expérimental! (Rires) Dans ce sens, ce n’est pas du tout un compromis.

Y. G.: On a compris que le film devait incarner le rôle du bâton. Yves m’a transmis quelque chose, et moi, avec ce film, je veux transmettre cette chose au public et à d’autres émules de Marc.

«La poésie est juste une porte d’entrée dans le film pour transposer ce que chacun peut vivre comme passion.» –Yan Giroux, cinéaste

La poésie est présente dans les mots, mais aussi dans les images du film, notamment dans certains plans impressionnistes, ou par exemple dans le regard que la caméra pose sur le rayon des viandes d’un supermarché. Vouliez-vous montrer que la poésie existe sous plusieurs formes?
Y. G. : Bien sûr, on voulait s’assurer dès le scénario que les univers qu’on créait transposaient ce qu’Yves faisait dans ses livres. Avec Ian Lagarde, le directeur photo, on aime beaucoup créer des images qui communiquent quelque chose d’inexplicable par les mots.

Merci de souligner le moment dans le supermarché. Ça reste très banal, le comptoir des viandes, on l’a tous vu des millions de fois. On a essayé d’en faire quelque chose d’autre, de le montrer différemment. C’est ce qu’on apprend en étant en contact avec des gens comme Yves. La poésie n’est pas tout le temps quelque chose de grandiose, de romantique ou de compliqué; c’est juste une façon de changer notre regard. C’est ce qu’on a fait dans le supermarché: on a placé la caméra dans un autre angle, et soudainement, c’est devenu des taches, des formes et des lignes.

Démarche documentaire

À tous ceux qui ne me lisent pas n’est pas un film biographique. Il est plutôt librement inspiré d’un pan de la vie du poète, qui pourrait représenter tout autre artiste défendant un idéal de liberté similaire.

Les coscénaristes ont néanmoins adopté une démarche proche de celle du documentaire afin d’être fidèles au personnage. «À la base, je voulais faire un documentaire, mais il était déjà malade. Dans ce contexte, ça aurait été inapproprié d’organiser un tournage auprès d’une vieille connaissance. Mais on a continué dans cette démarche en faisant vraiment une grosse recherche, en rencontrant plusieurs de ses amis et en prenant beaucoup de notes», indique le réalisateur Yan Giroux.

Dyane Gagnon (interprétée par Céline Bonnier), qui a été la conjointe du poète pendant une vingtaine d’années, a participé de près au projet. «On lui a fait lire le scénario. Elle a tellement senti Yves dans le texte! Ç’a été troublant pour elle. Elle avait l’impression qu’il reprenait vie», soutient le cinéaste.

Elle a par ailleurs été très satisfaite du résultat, au grand soulagement des deux créateurs. «Faire parler des gens qui ont existé vient avec une responsabilité. Quand elle a partagé ses impressions avec nous, on a senti qu’on avait rempli notre mission», relate Guillaume Corbeil.

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