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«L’amitié homme-femme, c’est fucking grandiose»: entrevue avec la bédéiste Val-Bleu

Photo: Chloé Charbonnier/Collaboration spéciale

Sous ses airs rigolos et inoffensifs, avec sa couverture fluo et ses personnages loufoques comme la lapine, le troubadour et le gars pas d’pantalon, la bande dessinée La zone de l’amitié aborde un sujet sérieux, voire controversé: l’amitié homme-femme.

Ce «guide des rapports non sexuels et harmonieux entre hétéros de bonne volonté», l’auteure Val-Bleu – Valérie Jacques-Bélair, «c’est pas très catchy», dit-elle – l’a conçu après avoir vécu de mauvaises expériences personnelles.

«Il y a des gars qui m’ont dit que j’aurais dû deviner leurs sentiments quand ils ne les avaient jamais exprimés, et d’autres qui m’ont reproché de mettre les choses au clair trop vite. Puis, des gens m’ont carrément dit que l’amitié homme-femme n’existe pas de toute façon», relate-t-elle.

Pourtant, «l’amitié, c’est fucking grandiose», écrit-elle en grosses lettres dans une page de son ouvrage qui se lit d’un trait. Elle-même a vécu de très bonnes expériences amicales avec des hommes hétérosexuels. C’est pourquoi elle a tenu à y réfléchir davantage, avec humour, dans sa BD.

«Non seulement l’amitié homme-femme est possible, mais il y a un sérieux problème avec ceux qui disent que ça ne l’est pas!» lance-t-elle au bout du fil.

Derrière cet éternel débat se cache de la misogynie, soutient l’auteure féministe. «Souvent, des gars vont dire que c’est une perte de temps si une amitié avec une fille ne mène pas à une relation. Mais qu’en est-il de leurs amitiés avec d’autres gars, voient-ils ça comme une perte de temps aussi? Ou est-ce que les femmes sont une perte de temps à leurs yeux?»

Tout cela est également lié au concept de charge émotionnelle, décrypté récemment par la bédéiste française Emma, qui consiste à faire reposer sur les épaules des femmes la responsabilité du bien-être des autres.

«C’est à nous de deviner les émotions des autres. C’est ce qui m’avait mise en colère à la base. Après ma première mauvaise expérience, je m’étais dit que je ne referais pas la même erreur et que je clarifierais mes intentions dès le début. Mais la fois d’après, le gars aurait mieux aimé que je ne le prévienne pas immédiatement. Donc, il était fâché contre moi», laisse-t-elle tomber dans un rire ponctué d’une touche de désespoir.

«C’est comme s’il n’y avait pas de façon de s’en sortir, d’autant plus que ces situations surviennent dans des contextes d’amitiés nouvelles, donc avec des gens qu’on ne connaît pas encore très bien.»

«Je ne m’adresse pas aux féministes endurcies, mais plutôt aux gens qui ont besoin d’être pris par la main pour apprendre de nouveaux concepts. À ce niveau, l’humour peut être une bonne façon de les rejoindre.» – Valérie Jacques-Bélair, alias Val-Bleu

Ces contextes sont souvent des soirées entre amis comme celle que Val-Bleu couche sur papier dans La zone de l’amitié. En effet, quel meilleur environnement qu’un party bien arrosé pour discuter de ce sujet délicat et polarisant?

«Les soirées arrosées aident à avoir des réactions qui sont un peu plus extrêmes, ce qui apporte quelque chose de fun dans une BD», ajoute-t-elle.

Des réactions extrêmes, la vieille fille frustrée, le gros macho et même le timide en ont dans cette BD d’une centaine de pages. Afin de ne vexer personne, la bédéiste a donné des formes non humaines à quelques personnages de La zone de l’amitié.

«Trois personnages sont des espèces de crottes indéterminées, décrit-elle, amusée. C’était une façon pour moi de donner un visage aux opposants de l’amitié homme-femme sans que personne se sente visé. Je ne voulais pas leur donner de traits, qu’on voie par exemple qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme d’un certain âge ou d’une certaine classe sociale.»

Rendu ici, vous vous en doutez probablement: dans La zone de l’amitié, le sérieux du sujet des relations amicales homme-femme est habilement dissimulé derrière la plume «faussement naïve» de Val-Bleu. L’auteure prend plaisir à aborder des enjeux graves à coups «d’anecdotes, de jokes de pénis et de prout», comme elle l’a fait par le passé avec sa BD Les pénis inattendus, qui abordait pourtant le grave enjeu de l’exhibitionnisme.

«Quelqu’un peut prendre ce livre et penser que c’est juste niaiseux, mais j’espère qu’au final il aura appris quelque chose», résume-t-elle.

La bande dessinée était pour elle la meilleure façon d’aborder le sujet de façon drôle et accessible. «L’aspect visuel enlève le côté épeurant que pourrait avoir un essai sur le même sujet, par exemple. En général, le format de la BD permet de s’instruire sur plein de sujets auxquels on n’aurait pas toujours la force de s’attaquer.»

Au-delà d’être un argumentaire en faveur de l’amitié homme-femme, l’ouvrage de Val-Bleu se veut aussi, tout simplement, un hommage à l’amitié tout court, qui est trop peu valorisée socialement, selon elle.

Dans sa BD, l’auteure s’en prend notamment à l’expression «être juste amis», souvent employée pour refuser des avances. «Comment ça, être JUSTE amis?» s’indigne un personnage.

«La grosse majorité du monde sur Terre a au moins un ami. Pourtant, quand on regarde le cinéma ou la littérature populaire, il n’y a pas tant d’histoires d’amitié. Comme si notre seul objectif dans la vie était de trouver l’amour!»

Planche tirée de la bd La zone de l’amitié / Collaboration Spéciale

«La zone de l’amitié, c’est le bonheur»

La zone de l’amitié, communément appelée friend zone en anglais, désigne une situation sociale dans laquelle une personne désire une relation amoureuse ou sexuelle avec une autre qui, elle, ne souhaite avoir qu’une relation amicale. Lorsque la personne qui ne désire pas de relation l’exprime à l’autre, on dit de cette dernière qu’elle entre dans la zone de l’amitié.

«Attends, j’ai une idée! On pourrait arrêter de dire que la friend zone c’est de la marde», clame un des personnages de La zone de l’amitié, BD dans laquelle Val-Bleu affirme que «la zone de l’amitié, c’est le bonheur».

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