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Nuestro Tiempo: entre l’enfance et les ténèbres

No Dreams Cinema Photo:
Jean-Baptiste Hervé - Métro

Le cinéaste mexicain Carlos Reygadas est un des réalisateurs les plus importants de notre époque. En cinq films, il a construit une œuvre patiente, contemplative, qui traite de l’expérience intime de l’être humain.

Attentif à la nature et profondément ancré dans le Mexique, il est de passage cette semaine à Montréal dans le cadre d’une rétrospective que lui consacre la Cinémathèque québécoise jusqu’au 18 février. Il présente aujourd’hui en première québécoise son plus récent film, Nuestro Tiempo.

Métro s’est entretenu avec le réalisateur mexicain, qui parle un français impeccable.

Comment est arrivé le cinéma dans votre vie, vous qui avez joué pour l’équipe nationale de rugby mexicaine et qui avez une formation d’avocat?
Comme beaucoup de gens, à 18 ans, je ne savais pas quoi faire… Je suis donc entré à l’école de droit. J’ai fait un master en droits du conflit armé. Cependant, le cinéma était entré dans ma vie à 17 ans. Dans la maison familiale, nous ne regardions pas de films. L’ennui est très vite arrivé dans ma carrière d’avocat : l’horaire classique, les habits et tout le reste… Pendant 10 ans, j’ai regardé un film par jour; le cinéma occupait un grand espace dans ma vie. Je me suis donc donné la chance de réaliser un premier court métrage à l’époque où j’habitais Bruxelles. Puis les choses se sont enchaînées et je continue aujourd’hui à faire du cinéma. 

Dans votre plus récent film, Nuestro Tiempo, il est question de nos désirs, de la façon dont nous sommes parfois incohérents entre la théorie et la pratique. Vous traitez aussi du téléphone, de la manière dont il nous rend esclaves. Que pensez-vous de notre époque? Dans quelle ère vivons-nous?
Ce film traite d’abord et avant tout de la contradiction humaine. Cette contradiction qui fait partie de notre condition se révèle dans les façons qu’on a de communiquer. Je crois que même avant de communiquer, nous portons en nous des oppositions. Nous désirons souvent des choses contraires qui s’entrechoquent. En plus de voir en nous ces combats et ces forces qui nous agitent, il faut entrer en communication avec les autres et tenter de marier nos contradictions. Ce que je réalise, c’est que celles-ci vont parfois nous faire mal et parfois nous enrichir. Mon film traite de la manière de faire vivre ces phénomènes seuls et en groupe et de la façont dont surgissent les impulsions inconscientes.

«J’ai répondu à l’appel du cinéma.» – Carlos Reygadas, réalisateur. Celui qui se destinait à une carrière en droit a fait le bon choix puisque ses films ont été récompensés par trois prix au prestigieux Festival de Cannes : meilleur réalisateur pour Post Tenebras Lux (2012), prix du jury pour Lumière silencieuse (2007) et mention spéciale à la Caméra d’or pour Japon (2002).

Votre cinéma semble constamment osciller entre la lumière et les ténèbres. Avec le temps, il semble que l’enfance surgisse comme la part lumineuse. Est-ce que je me trompe?
Non. Vous avez raison malgré le fait que je ne veux pas que ce soit fait de façon «programmatique» dans mes films. Quand vous l’énoncez, je réalise cet état de fait dans mon cinéma. On le sait, depuis la religion chrétienne, les enfants demeurent ceux qui sont dans l’innocence et puis nous, les adultes, amorçons une autre histoire. Cela paraît assez basique comme idée, mais cela reste une constatation sur la réalité qui m’entoure, une conséquence naturelle de ma vie familiale.    

Lumière silencieuse, votre troisième film, demeure votre film le plus personnel. Pourquoi et surtout comment une communauté si éloignée de vous et de votre identité a-t-elle pu vous rejoindre si fortement?
Parce que c’est encore un film qui traite de l’intimité et que celle-ci a peu à voir avec la culture, la langue, les vêtements ou la religion. L’homme [de culture mennonite] qui souffre dans mon film, je me sens proche de lui sur le plan humain et au-delà de toute notion culturelle ou anthropologique. Dans mon dernier film, par exemple, il y a moi, mes enfants, et ma femme est nue. L’intimité est plus que cela, elle ne réside pas dans notre chambre, même pas dans notre corps. Elle réside dans notre âme, dans notre cerveau, dans notre vie intérieure. En ce sens, je trouve que Lumière silencieuse est mon film le plus autobiographique.

Quel type de cinéaste êtes-vous en train de devenir?
Je ne pense pas à cela. Je sais toutefois que ce qui m’intéresse dans le cinéma est l’authenticité. Ce qui m’importe, c’est que la façon dont je regarde, ressens et fais du cinéma me ressemble en tout point et soit cohérente avec la personne que je deviens. À partir du moment où quelqu’un nous donne un film authentique, qui reflète ce qu’il est, la moitié du film est pour nous, spectateurs. Nous ne sommes pas entretenus et divertis comme au cirque; nous avons le droit, en présence d’une œuvre qui reflète son créateur, d’exister en bilatéralité avec le film.

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