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HAK_MTL: au front pour la vie privée

Photo: rapide blanc/collaboration spéciale

Alors que les scandales sur la vie privée et la collecte de données personnelles font de plus en plus les manchettes – pensez­ à Cambridge Analytica ou à Equifax –, des hackers se mobilisent. Dans son documentaire­ HAK_MTL, Alexandre Sheldon nous présente les principaux acteurs de la communauté montréalaise. Ceux-là mêmes qui, selon lui, constituent notre plus grand espoir contre la surveillance de plus en plus omniprésente.

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire un documentaire sur cet enjeu?
Chaque fois que de nouveaux gadgets ou de nouvelles plateformes apparaissent, je suis sceptique. Je me souviens vraiment du moment où Facebook est apparu: alors que tout le monde se joignait à ce réseau social, j’étais méfiant. Je pense que je suis déjà un vieux grincheux à 35 ans! (Rires) J’ai toujours regardé ces nouveautés d’un œil critique.

Quand les révélations d’Edward Snowden [sur les pratiques de surveillance de la NSA] sont sorties en 2013, je me suis dit: «Bon, je le savais!» (Rires) Je me suis senti soudainement confirmé dans toute ma paranoïa et mon scepticisme. Ça a été pour moi vraiment un moment clé. J’ai alors commencé une lente recherche sur ce qui touche la surveillance et la vie privée. J’ai compris que les hackers étaient à l’avant-garde du combat contre la surveillance. Il y a une communauté très organisée autour de cette question. Je me suis rendu compte à quel point leur discours était intéressant, pertinent, mais aussi radical. Ils ont un discours complètement assumé : Big Brother nous surveille, mais surtout Google, Facebook, Apple et compagnie! Ça m’a interpellé.

Avez-vous l’intention, avec ce film, de rendre accessible un sujet complexe?
Tout à fait. C’est mon espoir, en tout cas! De un, j’espère remettre un peu les projecteurs sur le sujet de la surveillance et de la vie privée en montrant son importance. Quoi que j’ai l’impression que, dans les quatre années de production du film, cette réalité est devenue de plus en plus acceptée. De deux, je voulais voir auprès de la communauté des hackers quelles sont les pistes de solution, et aussi quel rapport différent à la technologie serait possible. Un rapport où on serait moins de simples usagers des technologies, et davantage des participants. La philosophie, au cœur de cette communauté, est de dire : réapproprions-nous ces technologies.

Souhaitez-vous aussi faire connaître les membres de cette communauté qu’on voit très peu dans l’espace public?
C’était une volonté de leur donner une tribune et d’essayer d’articuler leur vision du monde et des enjeux autour de la surveillance. Les hackers de l’organisation Crypto.Québec ont choisi d’avoir une prise de parole publique. Ils n’ont pas besoin de moi pour avoir une tribune. Mais d’autres, qui travaillent par exemple dans le développement d’outils comme les communautés de logiciels libres, ont une certaine méfiance envers le monde médiatique, qui souvent les représente de façon très sensationnaliste ou négative.

HAK_MTL déconstruit d’ailleurs l’image souvent véhiculée du hacker caché dans la pénombre derrière un écran. Vous présentez plutôt les membres de cette communauté comme notre plus grand espoir contre la surveillance de masse. Était-ce une façon pour vous de briser des stéréotypes?
Je voulais montrer que les pistes de solution viendront des hackers, parce qu’ils sont les premiers à avoir sonné l’alarme. Plusieurs le disent dans le film : quand on travaille en cybersécurité, on sait à quel point il est facile de surveiller les gens, d’avoir des données sur eux. Plus on accumule de données, plus on devient puissant. Les hackers ont une compréhension très profonde de tout ce qu’on peut faire avec de l’information personnelle, et la puissance que ça donne à ceux qui contrôlent ces informations.

«On subit les technologies qu’on crée. Le génie humain arrive à inventer de fantastiques nouvelles technologies, mais après on n’en est plus les maîtres, mais plutôt les produits. On a de la misère à utiliser notre conscience pour se les réapproprier. C’est ce que les hackers tentent de faire.» Alexandre Sheldon, documentariste

La plupart d’entre nous sont tout à fait conscients d’être devenus des génératrices de données. Il reste que nous y sommes indifférents, ou alors qu’on se sent impuissant face à cette situation. La cofondatrice de la plateforme Peerio, Florencia Herra Vega, vous a dit trouver ça tragique. Le pensez-vous aussi?
Il y a une analogie à faire avec l’enjeu du réchauffement climatique. Même si on sait tous – et on se le fait dire maintenant 14 fois par jour! – que la planète se réchauffe, on se demande ce qu’on peut faire chacun de son côté : recycler, ne pas trop manger de viande, se déplacer à vélo, etc. Mais chaque jour, des millions de gens prennent leur voiture pour se rendre au travail, car on a reconfiguré notre société en fonction de ce moyen de transport dans les années 1950 et 1960. Aujourd’hui, même si on sait que ça cause un immense problème environnemental, on est complètement imbriqué dans ce paradigme automobile. Pour en sortir, ça prend un mouvement social et des solutions collectives; l’action individuelle a ses limites.

Selon moi, on connaît exactement le même problème avec la vie privée. Ce qu’on a fait avec la voiture, on est en train de le répéter avec les plateformes en ligne, les téléphones intelligents et l’internet en général, mais à une vitesse beaucoup plus grande. On est en train de reconfigurer nos sociétés en fonction de ces nouvelles technologies sans savoir où ça nous mène. Dans 20 ans, qu’est-ce que ça pourrait créer comme problèmes collectifs? Quelle sera notre capacité démocratique de les confronter? Donc oui, je trouve ça tragique, parce qu’on a répété la même erreur.

Le constat établi vers la fin du docu est d’ailleurs plutôt pessimiste : les hackers, aussi motivés et brillants soient-ils, se battent contre des joueurs tout-puissants. Y a-t-il espoir de renverser la vapeur, à votre avis?
Je pense qu’on a besoin d’une sensibilisation de masse à ces enjeux. Il faut que ça se fasse au niveau légal, ultimement. Il faut que des programmes d’éducation intègrent davantage une forme d’éducation civique à la littératie numérique et informatique. Il faut que les jeunes apprennent à coder. Il faut le plus possible, collectivement, qu’on comprenne l’univers technologique qui nous entoure pour pouvoir y participer démocratiquement. L’internet est tellement essentiel au fonctionnement de nos sociétés, on ne peut plus ne pas comprendre comment ça marche; sans quoi on s’enligne pour être de simples usagers contrôlés de très loin.

Plusieurs intervenants que vous avez rencontrés mentionnent que la surveillance et la collecte de données sont une menace directe à la démocratie. Le récit alarmant du roman 1984 de George Orwell vient d’emblée à l’esprit. Quelles sont les dérives possibles de ce système?
Le pire qui puisse arriver, c’est que tout le monde soit tellement rendu dans un univers d’information micro-ciblée, qui ferait de nous des personnes facilement manipulables, isolées, avec une incapacité à entrer en dialogue avec les gens qui sont sur d’autres algorithmes. Ça créerait une segmentation totale de la société et une incapacité à se parler entre voisins.

N’est-ce pas déjà un peu le cas à cause des algorithmes sur les réseaux sociaux?
Totalement! La surveillance entraîne ce qu’on appelle le chilling effect : quand on sait qu’on est surveillé, on modifie ses comportements pour ne pas s’attirer de trouble. Un autre danger est politique. Le contexte peut changer du jour au lendemain et, soudainement, on peut devenir la cible d’une certaine forme de répression ou de surveillance d’État. Il y a des moments où il faut se mobiliser socialement, c’est arrivé plein de fois dans l’histoire. Mais si un appareil d’État a accès à absolument tout ce qu’on fait en ligne, où on est à chaque instant, à qui on parle et de quelle manière, ça limite vraiment ces moments démocratiques importants. C’est là qu’on réalise la force de ces outils.

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