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Bong Joon-ho: «J’aime jouer avec les émotions fortes»

Bong Joon-ho Photo: Lee Jin-man/AP

Remporter une Palme d’or est «une chance immense», confie à Métro le cinéaste sud-coréen Bong Joon-ho, qui a reçu la plus prestigieuse récompense du Festival de Cannes pour sa comédie noire Parasite.

Comment vous est venue l’idée du film Parasite?
Je ne peux pas vraiment l’expliquer… C’est comme une égratignure sur la main. Parfois, en rentrant chez moi, je découvre que je me suis blessé, mais je ne sais absolument pas comment c’est arrivé. L’égratignure est là, c’est tout. Par contre, je me rappelle de la première conversation que j’ai eue à propos du synopsis du film. C’était en 2013, je travaillais alors à la post-production de Snowpiercer.

Qui sont les véritables parasites­ dans votre film?
Une famille pauvre s’infiltre dans la maison d’une famille riche. Mais on ne peut pas dire que ses membres soient les parasites, car c’est la famille riche qui les a invités. Ces derniers ne sont même pas capables de s’occuper d’eux-mêmes, de faire leur propre vaisselle ou de conduire, par exemple. Ils doivent déléguer toutes les tâches aux pauvres, ce qui fait d’eux les parasites!

La richesse est un sujet prédominant­ quand on parle de la Corée. Quelles y sont les conditions de vie?
En 1995, quand j’ai vu le film La Haine de Mathieu Kassovitz, j’ai été très surpris de voir que des quartiers aussi pauvres existaient à Paris. Je ne connaissais pas l’existence des «banlieues». J’avais toujours eu en tête le cliché des Champs-Élysées, où tout le monde est heureux et boit du champagne! En Corée, c’est pareil. C’est un pays développé, mais le fossé entre riches et pauvres est important. Si vous vous éloignez des artères touristiques de Séoul, vous découvrirez un tas de foyers nichés en demi-sous-sols, comme dans Parasite, et à travers leurs fenêtres, vous y verrez la simplicité dans laquelle les gens vivent.

Est-ce que les films de série B vous ont inspiré pour réaliser Parasite?
Je me suis beaucoup inspiré des films policiers des années 1970 de Claude Chabrol, qui présentent souvent des personnages bourgeois. J’ai aussi visionné The Servant de Joseph Losey. Mais on ne peut pas dire que ces œuvres soient des films de série B. Je suis un grand amateur de ce genre, mais je ne pense pas que mes références pour Parasite en faisaient partie.

Certains voient dans Parasite des références à Shoplifters, le drame japonais qui a remporté la Palme d’or l’an dernier, car tous deux ont une portée politique. Est-ce volontaire?
Je connais bien Hirokazu Kore-eda [le réalisateur de Shoplifters]. Il est même venu à la première de Okja [précédent film de Bong Joon-ho] à Tokyo. J’admire son travail, mais je pense que nous avons des styles très différents. Je suis avant tout un réalisateur de films de genre. Peut-être que Parasite a des côtés politiques, mais ce n’était pas mon objectif. Je voulais créer un film très délicat dans lequel on peut cerner chaque personnage.

«Je suis heureux d’apprendre que les films de genre ont du succès! J’en suis un grand amateur. Je pense qu’ils apportent une excitation cinématographique particulière.» Bong Joon-ho, réalisateur de Parasite

Bien qu’amusant, votre film est très pessimiste. Il laisse penser que les classes sociales peuvent être réconciliées grâce aux enfants, alors qu’on sait que cela n’arrivera jamais. Qu’en pensez-vous?
Je ne suis pas pessimiste sur tout. Je veux juste être réaliste. L’humanité a atteint un haut niveau de développement, nous utilisons toutes sortes de gadgets technologiques, mais si on regarde les 20 ou 30 dernières années, l’écart entre les riches et les pauvres a-t-il évolué? Je ne crois pas. Je ne pense pas que la situation sera meilleure pour la génération de mon fils. Je veux être honnête avec ça, je le suis notamment dans la dernière scène du film, quand on voit le jeune garçon déclarer qu’il va acheter la maison. Le spectateur sait qu’il ne sera probablement­ jamais en mesure de le faire…

La violence est-elle la seule solution face à cette réalité?
C’est pourquoi le film est si tragique. On pourrait éviter les moments qui le rendent si triste. Quand tout le monde prépare l’anniversaire de la fille, par exemple. Elle essaye de canaliser son humeur, mais cela se termine quand même mal. C’est comme ça que les tragédies commencent, par de bêtes incidents. Personne dans ce film n’est méchant, mais les choses peuvent malgré tout mener à une situation tragique.

C’est vrai, aucun personnage n’est initialement méchant. Cela vous autorise-t-il à aller plus loin et à en faire des monstres?
Exactement! Savez-vous combien de prises nous avons faites pour rendre Okja réaliste? 320. Mais pour ce film, j’ai préféré consacrer mon temps aux personnages.

Pensez-vous que le manque de communication est le principal problème de notre société?
Le problème fondamental du film est la polarisation entre les classes, qui s’éloignent de plus en plus. Avec cette distance, il devient plus difficile de communiquer. En même temps, elles se rapprochent par le travail. C’est la grande ironie de l’histoire.

Qu’est-ce qui vous plaît dans l’écriture de comédies?
Il y a plusieurs sortes de comédies : slapstick [genre d’humour impliquant une part de violence volontairement exagérée], verbale et situationnelle. Sans humour, je crois que je ne peux rien faire. Si le message que je veux transmettre a une portée politique, je veux le faire avec humour. Même si c’est périlleux, j’aime jouer avec les émotions fortes.

Êtes-vous heureux d’avoir reçu la Palme d’or?
J’ai été membre du jury de plusieurs festivals comme San Sebastian, Sundance et Berlin. Trente minutes avant l’annonce du vainqueur, la décision peut encore changer. Les lauréats, eux, n’ont aucune idée de ce qui se passe. Sachant cela, je réalise qu’avoir reçu ce prix est une chance immense.

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