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Songhoy Blues: le son de la résistance

Songhoy Blues Photo: Collaboration spéciale
Marie-Lisse Rousseau - Métro

Les deux albums de Songhoy Blues ne pourraient pas mieux porter leur nom. Le premier, Music In Exile (2015), découle de la formation du groupe à Bamako, où les quatre musiciens se sont rencontrés après avoir fui leur région sous contrôle djihadiste. Le deuxième, Résistance (2017), fait foi de leur lutte acharnée pour transformer le Mali. Le groupe les présentera lundi au festival Nuits d’Afrique.

Joint chez lui par WhatsApp (le réseau de téléphonie local éprouvait des difficultés ce jour-là), le guitariste Garba Touré s’enquiert d’emblée du temps qu’il fait à Montréal, où le groupe pose ses valises pour la première fois ces jours-ci. «C’est quoi là-bas, la fraîcheur?» demande-t-il avant de nous informer que le mercure atteint près de 40 °C par chez lui. «Il fait excessivement chaud!»

Il n’y a pas que la température qui est chaude au Mali. Depuis 2012, le pays traverse une crise sans précédent, déclenchée par la prise de contrôle du nord du pays, d’où viennent les musiciens, par les djihadistes. La charia y a été instaurée, interdisant la musique, le football, l’alcool, la cigarette… «Toutes les activités prisées par la jeunesse», résume le guitariste. Malgré l’intervention de l’armée française puis de l’ONU, les violences se poursuivent toujours.

C’est au début de la crise que Garba a rencontré Aliou Touré (chanteur), Oumar Touré (bassiste) et Nathanal Dembélé (percussionniste), tous exilés dans la capitale Bamako, au sud. À noter que malgré leur nom de famille commun, les musiciens n’ont aucun lien de parenté. Touré est au Mali ce que Tremblay est au Québec.

«La musique, c’est notre passion. On ne peut pas arrêter d’en faire juste parce que certaines personnes n’en veulent pas, vous voyez?» Garba Touré, guitariste de Songhoy Blues

Par contre, ils sont bel et bien de la même famille musicale. Influencé par des légendes comme Jimi Hendrix et les Beatles, Songhoy Blues a développé son propre style, à mi-chemin entre le rock indépendant et le blues sahélien, aussi nommé blues du désert.

D’où la deuxième moitié du nom du groupe. La première est un dérivé de «Songhaïs», le peuple du Mali auquel appartiennent les musiciens. Dans la langue du même nom ainsi qu’en bambara, en français et en anglais, le groupe chante les nombreux problèmes sociopolitiques qui touchent son pays.

«On fait une musique engagée, on ne fait pas de la musique pour faire rire les gens, lance gravement Garba Touré. Le maximum de nos textes est basé sur ce qui se passe ici, parce qu’on vient d’un peuple qui connaît trop la souffrance. Depuis des décennies, on vit la guerre, le racisme, la démagogie, l’injustice… Tout ça, on n’en veut plus chez nous.»

Cet engagement va de soi, puisque la formation est née de la crise. Ses débuts sont d’ailleurs décrits dans l’excellent docu They Will Have to Kill us First (2015), qui retrace l’impact des mesures djihadistes sur les musiciens du pays. «Si vous éliminez la musique, le Mali meurt», y disait sombrement un des membres de Songhoy Blues.

De Bamako à Londres, de Londres à Bamako
Pour la petite histoire, Songhoy Blues a d’abord été repéré en 2013 par le projet Africa Express, mené par Damon Albarn (Blur, Gorillaz), ce qui lui a permis de travailler avec Nick Zinner, guitariste des Yeah Yeah Yeahs. Celui-ci a réalisé le premier album du groupe, qui a ensuite été distribué aux États-Unis grâce à un coup de pouce de Julian Casablancas (The Strokes) et de son étiquette Cult Records.

Ces tapes dans le dos de grands noms du rock ont énormément influencé le groupe dans la confection de son deuxième album, enregistré à Londres avec le producteur britannique Neil Comber (M.I.A., Florence & The Machine, Glass Animals). «En écoutant Résistance après Music In Exile, vous remarquerez qu’on essaie d’être encore plus modernes. On a ajouté des effets de distorsion, on a voulu rendre notre son plus métallique», décrit Garba Touré.

Si les portes des scènes internationales leur sont désormais grandes ouvertes, il est hors de question pour les gars de Songhoy Blues de quitter le Mali, même si le pays s’entre-déchire et si les attaques ethniques y sont de plus en plus fréquentes. «La situation s’aggrave, des villages sont brûlés, il y a des centaines de morts», raconte le guitariste, horrifié.

Question de résistance, justement. «Le Mali, c’est chez nous. On est plus maliens que ces gens qui amènent cette barbarie. Notre musique leur fait mal aux oreilles parce qu’elle va à l’encontre de leur idéologie, mais on ne peut pas se laisser avoir par la peur. On ne va pas quitter le Mali, même si on sait que ça peut nous coûter la vie.»

Cette peur, ils l’évoquent dans le rassembleur hymne à la fête Bamako, sur lequel ils chantent: «Nordistes et sudistes, on s’éclate sur la même piste.» C’est qu’avec les tensions politiques, la capitale a souvent été mise en état d’alerte par les militaires, explique Garba Touré. «On chante Bamako pour montrer que malgré ça, les samedis soirs, les gens de Bamako continuent de sortir et de vivre leur vie. C’est ce qu’on leur dit dans cette chanson : sortez! Distrayez-vous!»

Résistance s’ouvre sur la chanson Voter, qui incite les Maliens à se rebeller contre le pouvoir politique. Dès qu’on mentionne le titre, Garba Touré s’emballe au bout du fil: «Ah! Voter! On y parle de nos hommes politiques, parce qu’au Mali, ils sont là au moment des élections. Ils embellissent leurs discours, ils font de fausses promesses: construire des routes, des écoles, des hôpitaux… Mais une fois au pouvoir… Depuis l’indépendance [en 1960], le Mali fait partie des pays les plus pauvres de la planète. La population souffre», lance-t-il, visiblement indigné.

Cette indignation nourrit le groupe, qui promet de continuer tant et aussi longtemps que ça ira mal. «On s’apprête à enregistrer deux ou même trois albums, on a écrit tellement de chansons!» révèle Garba Touré. Songhoy Blues souhaite notamment sortir un album double d’ici le début de 2020, un électrique, l’autre acoustique.

Malgré tout, les musiciens sont profondément attachés à leurs racines. On l’entend sur la pièce Sahara, un hommage à la beauté du désert, sur laquelle nul autre que l’icône punk Iggy Pop vient prêter sa voix, le temps de nous chanter qu’au Sahara, il n’y a ni condo, ni pizza, ni Poulet Frit Kentucky.

«C’était impeccable, c’était exactement ce à quoi on s’attendait», lance avec enthousiasme Garba Touré au sujet de cette collaboration qui s’est faite à distance. Ne lui reste plus qu’à rencontrer l’Iguane en chair et en torse. «On a une grosse tournée américaine à l’automne, on espère le croiser et peut-être chanter avec lui sur scène!»

D’ici là, le musicien continuera à faire de sa guitare son arme derésistance.


Songhoy Blues
Au Théâtre Fairmount lundi 15 juillet dans le cadre de Nuits d’Afrique

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