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Fantasia: la Corée du Sud, intime et politique

House of Hummingbird est présenté ce soir dans le cadre du festival Fantasia Photo: /Collaboration spéciale

Si Fantasia a souvent la réputation (justifiée ou non) d’être un festival de films de genre où le sang coule à flots, on y trouve aussi de nombreuses perles comme House of Hummingbird qui viennent briser tous les clichés associés à la production cinématographique
asiatique.

Le premier long métrage de la réalisatrice sud-coréenne Bora Kim est tout en douceur et en contrastes. 

Le colibri du titre, c’est Eun-hee (Ji-yu Park), jeune adolescente de Séoul au début des années 1990 qui se bute aux limites d’un monde trop étroit pour elle.

Son nid, c’est une famille aimante, mais ô combien dysfonctionnelle : père adultère, mère distante, frère violent et sœur absente. Un cocktail explosif qui ne manque pas de s’enflammer lorsque la pression monte.

«Pourquoi notre famille est aussi bizarre?» demande Eun-hee à sa sœur un soir de grosse dispute entre ses parents. 

Pourquoi en effet? Le film ne livre pas la réponse en criant à pleins poumons, mais chuchote quelques hypothèses : cette famille évolue au sein d’une société à peine sortie du sous-développement qui ne jure que par la discipline, le travail et la croissance économique. Qui relègue les femmes à l’arrière-scène tout en mettant une pression énorme sur les enfants par l’entremise d’un système d’éducation carburant à la performance. 

«Au lieu d’aller au karaoké, je vais aller à l’université», fait scander à ses élèves, le poing levé bien haut, un professeur un peu zélé, qui veut ramener ses brebis égarées sur le droit chemin.

À ce contexte bien particulier s’ajoutent les amitiés déçues et les amours sans issue (avec un garçon, puis une fille) d’Eun-hee et sa rencontre marquante avec sa professeure de calligraphie chinoise.

Une femme «très charmante pour Eun-hee, mais qui peut paraître bizarre aux yeux des autres», selon la réalisatrice et scénariste du film.

Toutes ces intrigues (et même d’autres!) se rejoignent, puis s’éloignent, pour tisser une trame narrative simple, mais extrêmement riche autour d’un personnage central fascinant.

«Je voulais faire du personnage d’Eun-hee une jeune femme brave, fluide, libre, ouverte aux possibilités. Je voulais montrer qu’elle ne se juge pas elle-même et qu’elle ne juge pas les autres, explique Bora Kim, de passage à Montréal après des arrêts aux prestigieux festivals de Berlin, de Tribeca et de Busan. Elle cherche l’amour et il n’y a pas de frontière à cela.»

Amours libres

La bisexualité d’Eun-hee est abordée de façon presque anodine dans House of Hummingbird. Pas de conflits avec les parents, de moqueries de la part des autres étudiants, de doutes ou de remises en question. Plutôt des histoires d’amour très chastes, vécues en toute intimité. 

«Volontairement, j’ai toujours présenté cette situation naturellement, sans conflit, soutient la réalisatrice. Parce que pour moi c’est une tendance naturelle de l’être humain. J’ai délibérément évité toute explication autour de la sexualité d’Eun-hee. Tout simplement parce que sa relation avec son copain est équivalente à celle qu’elle vit plus tard avec sa copine.»

Une situation qui fait écho à la situation des communautés LGBTQ en Corée du Sud? Pas tout à fait. Plutôt le reflet d’un aveuglement plus ou moins volontaire.

«Ça peut sembler bizarre parce que la société coréenne est très conservatrice sur les enjeux queer et sur les enjeux du genre, mais quand j’étais adolescente, beaucoup de filles avaient le béguin pour d’autres étudiantes. C’était très commun et personne ne posait de questions à ce sujet. Peut-être que les principales intéressées n’avaient pas les mots nécessaires pour dire qu’elles étaient queer ou bisexuelles. Cependant, une fois à l’université, tout cela était terminé, et elles considéraient que c’était comme une étape de passage.»

«Avec le recul, je considère que ce n’est pas qu’une étape de passage, mais une façon pour elles de vivre au sein d’une société oppressive quant à la fluidité sexuelle, affirme Bora Kim. À l’extérieur des normes sociales, elles peuvent exprimer davantage leur sexualité et explorer leur identité. Dans les années 1990, on n’avait pas vraiment de terme pour définir cela. Comme il n’y avait pas de mots pour le dire, tout cela s’est fait de façon naturelle, sans poser de questions.»

Un pont trop loin

House of Hummingbird est campé au début de la décennie 1990, années marquées par la fin de la dictature et un développement économique effréné. L’effondrement en octobre 1994 du pont Seongsu, un drame qui a fait 32 morts, est aussi un des pivots du film. Une façon de s’interroger sur le passé de la Corée du Sud, mais aussi sur son présent.

«Si vous aimez votre pays, vous êtes aussi capable d’être critique à son sujet. C’est le rôle des artistes de critiquer, d’une façon constructive la société.»

Bora Kim, réalisatrice de House of Hummingbird, à propos du portrait parfois peu flatteur de la société sud-coréenne qu’elle adresse dans son premier long-métrage.

«C’est un événement tragique dont tout le monde se souvient en Corée du Sud. Ce genre de tragédie nationale reste dans nos cœurs et nous pousse à réfléchir sur la condition humaine et le sens de nos vies», se rappelle la réalisatrice, dont la sœur a fréquenté la même école que plusieurs victimes.

«La décennie 1990 est celle où les conséquences du développement rapide des années précédentes nous ont frappés. La Corée du Sud a travaillé très fort pour passer de pays sous-développé à pays riche. Tout a été construit si vite… Ç’a été un réveil brutal. Il a fallu stopper ce type de développement et réfléchir au sens réel de la vie. On est devenu plus sensible à l’être humain et à sa sécurité, plutôt que de simplement s’intéresser au développement à tout prix.

«Oui, on se développe et on le fait bien, assure Bora Kim. Toutefois, j’espère sincèrement qu’on n’oublie pas les questions les plus importantes : quel est le sens de nos existences? Comment bien vivre nos vies? Quelle est la façon la plus humaine de vivre notre croissance? C’est le genre de questions que je veux poser dans mes films.»

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