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La haine, ce sentiment ridicule

Drôle, la Loi 21 qui interdit le port de signes religieux aux employés de l’État en situation d’autorité? L’humoriste canadien établi à Los Angeles Shaun Majumder fera l’audacieux pari d’en rire lors de l’arrêt montréalais de sa tournée Hate.

«Bien sûr que je dois en parler! Et je vais le faire d’entrée de jeu. Je vais prendre mon courage à deux mains et crever l’abcès. Peut-être que mon spectacle se terminera avant même de commencer, parce que je me ferai huer!» lance Shaun Majumder dans un grand éclat de rire. 

Comme plusieurs autres partout dans le monde, l’humoriste natif de Terre-Neuve-et-Labrador suit de loin le débat qui se poursuit au sujet de ce controversé projet de loi, dénoncé par plusieurs comme étant discriminatoire envers les minorités religieuses. 

«Permettez-moi de vous demander : est-ce réellement vrai que la majorité de la population du Québec est en faveur de cette loi?» s’enquiert-il, incrédule.

«Je sais que l’intention est de favoriser la laïcité et la neutralité de l’État, mais les conséquences de cette loi ne favoriseront pas l’inclusion et l’égalité qui sont recherchés. Ça me semble très contradictoire», poursuit-il.

Dans une courte vidéo récemment publiée sur son compte Instagram, l’humoriste félicite le Québec d’avoir dépassé l’Alberta à titre de province la plus raciste au Canada. «Bravo, vous êtes numéro 1!» ironise-t-il.

«Avec ce spectacle, j’essaie d’apporter un éclairage sur les comportements humains les plus sombres qu’il nous ait été donné de voir ces dernières années.»

Shaun Majumder

La Loi 21 n’est qu’un des sujets sensibles et délicats qu’a décidé de traiter sur scène Shaun Majumder dans Hate. Comme le titre de son spectacle l’indique, sa performance aborde le climat social de plus en plus polarisé, ainsi que la montée de la haine, plus précisément de la xénophobie, en Amérique du Nord. 

L’idée de toucher à ces questions épineuses dans un spectacle d’humour a germé dans son esprit après la controverse qu’il a suscitée bien malgré lui en 2016 avec le sketch Beige Power, diffusé à l’émission satirique This Hour Has 22 Minutes, sur CBC, à laquelle il a collaboré pendant 15 ans.

Beige Power, c’est une moquerie en réponse au slogan White Power du mouvement suprémaciste blanc. Dans cette vidéo d’à peine deux minutes, l’humoriste d’origine indienne chante que le concept de race est appelé à disparaître puisqu’à la longue, avec les unions interraciales, «nous aurons tous la même couleur de peau en l’an 3000».

«C’est devenu viral, les racistes ont capoté avec ça!» relate l’humoriste, pas encore tout à fait remis de la déferlante de haine qu’il a reçue sur les réseaux sociaux après la diffusion de cette capsule. Même David Duke, ancien père spirituel du Ku Klux Klan, l’a insulté personnellement sur Twitter.

«Hey les gars, c’est un sketch humoristique! laisse tomber Shaun Majumder d’un ton dépassé au bout du fil. Ils étaient tous convaincus que je faisais de la propagande pour encourager un génocide blanc, comme si j’étais dans une secte underground… C’est tellement ridicule!»

Ridicule. Ce mot sortira à plusieurs reprises de sa bouche au cours de notre entretien. Comme lorsqu’il aborde la suggestion faite par le président américain Donald Trump à quatre députées démocrates de retourner dans leur pays d’origine. «C’est tellement une attaque facile! C’est TELLEMENT ridicule!» s’exclame-t-il.

Lui a-t-on déjà balancé la même insulte? «Heureusement non», répond l’humoriste métissé, qui se plaît à blaguer qu’il ignorait qu’il n’était pas Blanc lors de son enfance dans un petit village de Terre-Neuve. «Si quelqu’un m’avait dit : “Retourne d’où tu viens”, j’aurais été confus. J’aurais pensé : “Est-ce que je dois rentrer à la maison pour souper?”» dit-il en riant.

«On pourrait aussi dire à Trump de retourner d’où il vient, poursuit-il. J’imagine qu’il vient d’une usine de fromage Singles de Kraft qui a été frappée par la foudre!» lance-t-il dans un autre éclat de rire.

Cette flèche décochée au président des États-Unis résume l’essence de son spectacle : tourner en ridicule la montée de la haine. «Ma job d’humoriste est de montrer un comportement humain et de le questionner : Est-ce vraiment productif? Sommes-nous vraiment en train d’avancer en tant qu’espèce en agissant ainsi?»

Optimiste malgré tout

À titre de citoyen, il admet qu’il n’y a pas toujours matière à rire. «Mais je crois encore que l’être humain est bon. Je pense qu’il est encore possible d’avoir des débats nuancés, mais je pourrais avoir tort! De toute façon, avec les changements climatiques, on est tous foutus d’une façon ou d’une autre!»

Le Canadien qui vit aux États-Unis depuis l’an 2000 y va d’un exemple personnel : «Ma femme est Américaine, elle est progressiste, mais sa famille est très conservatrice. Lors de nos soupers de Noël, j’ai appris à naviguer à travers nos différends politiques et religieux. Ces repas sont un microcosme de ce que sont les États-Unis. C’est profondément divisé, mais si on arrive à s’entendre, je crois que le pays peut le faire aussi.»

Vivre au pays de l’Oncle Sam tout en travaillant au Canada pour This Hour… jusqu’en 2018 a teinté le regard de Shaun Majumder. «C’est drôle : je vis aux États-Unis, j’ai une green card, j’ai un peu l’air Mexicain, mais je suis Canadien», blague-t-il. 

Il faut dire qu’il s’attaque à un concept universel dans ce spectacle, qu’il qualifie de «très le fun, mais qui couvre des sujets sérieux». Hate est par ailleurs en constante évolution, s’adaptant à l’actualité. «Ce n’est pas coulé dans le béton, car il y a tant de nouvelles liées à ce sujet.»

À Montréal, en plus d’aborder de front la Loi 21, il traitera d’autres réalités canadiennes, des costumes du premier ministre Justin Trudeau lors de son fameux voyage en Inde au vocabulaire inconsciemment raciste fréquemment employé par Monsieur et Madame Tout-le-Monde, «même ceux qui sont bourrés de bonnes intentions».

«Je veux que mon humour porte un message. Je veux remettre en question certains fondements de notre société», détaille-t-il. 

Shaun Majumder a particulièrement hâte de présenter Hate devant un public québécois, qui, selon lui, a beaucoup en commun avec celui de sa région natale, Terre-Neuve. «Je me souviens de toute cette discussion sur le Québec en tant que société distincte. À mon avis, Terre-Neuve, le Québec et les peuples autochtones ont les cultures les plus distinctes au pays. On le voit dans la communauté artistique si vibrante du Québec.»

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