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Dominique Fils-Aimé: entrer dans l’émotion

Dominique Fils-Aimé Photo: Dominic McGraw/fme/collaboration spéciale

Révélation jazz 2019-2020 de Radio-Canada et nommée sur la courte liste du prestigieux prix Polaris, Dominique Fils-Aimé poursuit sur sa lancée en présentant son mélange unique de jazz et de soul sur les scènes du pays. Une quête pour toucher le cœur des spectateurs, un par un s’il le faut.

L’été qui se termine a été le premier de Dominique Fils-Aimé sur la route des festivals. De Montréal à Regina, elle a fait le tour des festivals de jazz du pays avec un spectacle réunissant les deux premiers albums de sa trilogie explorant les racines de la musique afro-américaine, Nameless et Stay Tuned!

Elle a également fait ses premiers pas dans des événements disons moins feutrés et un peu plus festifs, comme le Festival de musique émergente (FME) à Rouyn-Noranda, où on l’a rencontrée quelques heures avant son spectacle dans l’intimité du Paramount.

«J’ai l’impression de détonner un peu, mais en même temps, c’est tant mieux, explique celle qui a atteint la demi-finale de La Voix en 2015. Le fait que je détonne me permet d’aller chercher des gens qui n’auraient normalement pas été exposés à ma musique ou à des choses différentes. C’est un challenge qui en vaut la peine.»

Il faut dire que les concerts de Dominique Fils-Aimé n’ont rien du tour de chant léger.

D’entrée de jeu, l’autrice-compositrice-interprète d’origine haïtienne demande aux spectateurs de garder leurs applaudissements pour la toute fin, question de ne pas faire éclater la bulle d’intimité qui se crée entre elle et le public.

Le spectacle s’amorce avec des extraits du sombre Nameless, qui explore le blues et les cicatrices profondes laissées par l’esclavage, avant de progresser vers l’énergique Stay Tuned! qui célèbre la révolution du jazz et des droits civiques.

Un spectacle en crescendo qui, malgré le souhait de l’artiste, s’attire souvent des applaudissements tellement il est captivant et émotif. (Ou serait-ce la virtuosité de la chanteuse et de ses excellents musiciens?)

Métro a discuté avec Dominique Fils-Aimé de son processus créatif sur scène.

Existe-t-il une différence entre le public d’un festival de jazz et celui d’un festival plus grand public?

Le public jazz est incroyablement attentif, ça me surprend à chaque fois. On entendrait une mouche voler tellement les gens sont respectueux. Ils rentrent dans la bulle avec nous. Jusqu’à maintenant, même dans les festivals un peu moins jazz, les gens restaient très respectueux et attentifs. En général, au Canada, on a des gens qui prennent le temps de respecter et d’apprécier les musiciens.

Quel est le public idéal pour vous? Est-ce qu’un public peut être trop respectueux?

Jamais trop, jamais trop! [Rires] Le public idéal, c’est le public qui vient au show, qui nous permet de faire ce qu’on fait. Quelqu’un qui se donne le droit de méditer pendant le show, de vivre un moment un peu plus profondément dans l’émotion, c’est vraiment ce que je recherche. La musique, pour moi, est une occasion de connecter, de relier un humain et un autre, une émotion et une autre. Et de promouvoir l’empathie. Ce que je vis et partage sur scène, tous les humains l’ont vécu. C’est une façon de ramener l’humanité en connectant entre nous.

Est-ce que vous avez à «travailler» votre public? Est-ce que vous remarquez quand certains spectateurs sont moins attentifs?

Je reste dans ma bulle. Mais je l’étends le plus loin que je peux. Les gens peuvent accepter d’y entrer ou pas, c’est leur droit. Dès le début, j’informe les gens de ce qu’on s’apprête à faire, c’est-à-dire un environnement pour qu’ils viennent méditer avec nous. Généralement, ils sont très réceptifs, ils comprennent les règles du jeu.

«Quand les spectateurs se permettent de laisser tomber leurs barrières et d’entrer dans l’émotion, je trouve ça génial.» –Dominique Fils-Aimé, autrice-compositrice-interprète

Pourquoi bannir (très gentiment) les applaudissements?

J’essaie d’encourager les gens à ne pas applaudir entre les chansons pour rester dans le flot et la continuité. Mon rêve, c’est de créer un show qui s’apparente à un hybride entre un concert et une pièce de théâtre.

Il y a plein de notions préconçues qu’on répète par réflexe, comme applaudir à la fin d’une chanson. «Ah c’est fini, alors j’applaudis». Je veux qu’on se détache de cette mécanique. Moi, ça me pète ma bulle à chaque fois. Ça crée des brisures dans la rythmique. Et je trouve ça étrange qu’une chanson qui t’a fait pleurer provoque la même réaction qu’une chanson qui t’a fait danser.

Je préfère qu’on prenne un moment pour vivre l’émotion. Et le fait qu’un spectateur soit là pour me voir, c’est déjà un accomplissement. C’est un soutien physique, très concret. On ne peut pas avoir de plus grand support que la présence humaine. Après ça, les applaudissements, c’est juste un bruit, un réflexe qu’on a.

J’espère que les spectateurs vont reproduire ce questionnement ailleurs dans leur vie. Il y a trop de conventions, trop de règles établies. Est-ce que c’est encore pertinent aujourd’hui? Je ne sais pas.

Être désignée Révélation Radio-Canada, être sur la liste du Polaris, est-ce que ça change quelque chose dans votre démarche artistique?

Ça donne plus d’entrevues! [rires] Je ne crois pas vraiment à la compétition, surtout dans le monde des arts. On est tous égaux là-dedans. On est un. Quand on pense à la musique d’une époque, on pense à tout ce qui est englobé là-dedans, pas seulement à un artiste.

Bien sûr, ça flatte l’ego, mais je le vois plus comme une forme d’encouragement, une façon de dire qu’on reconnaît et apprécie ta présence et ton processus créatif. C’est encourageant. Et je me dis que ça peut permettre à d’autres personnes qui sont marginalisées par moment, de se rendre compte qu’il y a une place pour eux sur des plateformes plus larges. Qu’on est les bienvenus. Que le paysage change et se diversifie.

Au-delà de la reconnaissance de l’industrie musicale, est-ce que vos deux premiers albums ont eu la résonnance que vous souhaitiez auprès du public?

Encore plus que je n’aurais pu l’imaginer! On a fait des albums qui ne sont pas forcément radiophoniques et on le savait. On l’avait accepté. C’est tout ce que j’ai à faire pour les 30 prochaines années, alors on peut prendre notre temps.  Mais l’attention et l’ouverture des gens ont crû beaucoup plus vite qu’on pensait. 

Ça nous a fait réaliser que ce qu’on entend à la radio ou ce qui est médiatisé n’est pas nécessairement ce que les gens veulent entendre, mais c’est ce qu’on leur donne. Les gens sont prêts à entendre autre chose. On avait sous-estimé le public et sa capacité à nous accueillir. C’est une belle surprise.

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