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Physique de la tristesse: dans la capsule temporelle de Theodore Ushev

Physique de la tristesse: dans la capsule temporelle de Ushev
Le court métrage de Théodore Ushev sera présenté les 12 et 17 octobre dans sa version anglaise au FNC. Photo: Office national du Film

Physique de la tristesse, plus récent, plus personnel et plus ambitieux court métrage d’animation de Theodore Ushev, pourrait aussi être son dernier. Du moins, pour un certain temps…

C’est ce que le cinéaste montréalais nominé aux Oscars en 2017 pour son court métrage Vaysha l’aveugle laisse tomber à la toute fin de notre rencontre.

Après un film aussi exigeant, tant pour son récit introspectif et intimiste que pour sa technique d’animation hors du commun, Theodore Ushev sent le besoin de laisser la poussière retomber. 

«Vous savez, je n’ai jamais eu autant de retours de la part de critiques et d’employés de festivals. Ils m’appellent et me disent: “C’est ton chef d’œuvre, ton magnum opus”. Ça va être difficile de créer après ça… Mes prochains projets seront toujours comparés à Physique de la tristesse», dit-il, à quelques jours de la première montréalaise de son film au Festival du nouveau cinéma.

Theodore Ushev
Theodore Ushev

Déjà, son plus récent court métrage d’animation a été primé aux trois festivals canadiens où il a été présenté. Il a notamment obtenu la Mention honorable pour le meilleur court métrage canadien au TIFF. 

De quoi réjouir le cinéaste, qui a consacré environ sept ans à la création de ce récit qui touche à un de ses thèmes de prédilections: le rapport au passé et à la mémoire.

«Le scénario m’a pris beaucoup de temps à écrire, et je l’ai réécrit jusqu’à la fin, parce que je n’étais pas satisfait de certains aspects», dit-il d’emblée.

Tout a commencé lorsque Theodore Ushev a lu Physique de la mélancolie, de l’auteur bulgare Guéorgui Gospodinov, dont l’intrigue entremêle passé et présent abordant les notions d’identité, de vieillissement et de souvenirs.

«Je l’ai lu en une nuit et le lendemain matin, je voyais le film, raconte le cinéaste, qui est depuis devenu ami avec l’écrivain. Son récit m’a touché personnellement, quelque chose m’a transporté dans mon passé.»

Mais Physique de la tristesse n’est pas une adaptation fidèle du livre de son compatriote. «J’ai un peu massacré le roman de Guéorgui, mais il était d’accord!» blague-t-il.  

En fait, il l’a interprété en y incorporant des éléments de sa propre histoire. Ainsi, en regardant son court métrage, on plonge dans les souvenirs d’enfance du cinéaste – où il collectionnait les papiers de chewing-gum et allait au cirque en vélo – et on découvre son présent d’immigrant montréalais, dans lequel le déracinement est omniprésent. Pas tant par nostalgie de son pays d’origine que par nostalgie d’une époque révolue : l’enfance. 

Malgré son caractère très personnel, Physique de la tristesse n’est pas un autoportrait, précise Theodore Ushev. «Je ne peux pas dire ça. Bien sûr, je me dessine, j’ai dessiné mon père, mais ce n’est pas un film autobiographique. C’est plutôt un portrait de ma génération, des gens qui ont choisi de changer leur lieu de vie ou, comme on dit, des immigrants», dit-il dans son français teinté d’un charmant accent bulgare.

«Nous sommes tous les immigrants de notre enfance», dit d’ailleurs la voix du narrateur, interprété dans la version française du film par le cinéaste et comédien Xavier Dolan. 

«Je rencontre beaucoup d’immigrants à Montréal, poursuit l’artiste. Quand je m’assois avec eux, je ne parle pas trop; j’écoute et j’observe. Je remarque que leur nostalgie n’est pas tant associée au pays qu’ils ont quitté, mais plutôt au souvenir qu’ils en gardent. Quand ils y retournent, ils n’aiment plus cet endroit, ils se plaignent que ce n’est plus leur pays, qu’ils ne s’y retrouvent pas.»

Cette nostalgie se manifeste dans son court métrage notamment par l’illustration du mythique marché Bucarest, sur le boulevard Décarie, où on peut trouver divers produits dans des emballages de l’époque soviétique. «C’est le musée de mon enfance», dit le cinéaste à propos de cet endroit. 

Peinture à l’encaustique

Theodore Ushev compare son œuvre à une capsule temporelle, ces collections d’objets témoignant d’une époque légués aux générations futures. Il les évoque d’ailleurs dans son film. La toute première du genre a été trouvée dans un sarcophage datant de l’Égypte ancienne.

C’est pourquoi l’artiste a réalisé ses superbes illustrations par la technique antique de peinture à l’encaustique, caractérisée par l’utilisation de couleurs délayées dans de la cire fondue.

«Les Égyptiens l’utilisaient pour créer les portraits dans les sarcophages», dit le cinéaste, très soucieux que chaque technique d’animation qu’il emploie soit en phase avec le propos de son œuvre.

«Être nommé aux Oscars est un stress énorme. C’est comme être en campagne électorale pendant trois mois. C’est un marathon avec beaucoup de pression, beaucoup de rencontres…. Moi, je suis un dessinateur, pas un politicien! (RiresTheodore Ushev, à propos de son expérience aux Oscars en 2017 avec Vaysha l’aveugle.

Il s’agit du premier film d’animation réalisé avec cette méthode, soutient-il. Ce qui a de quoi impressionner, étant donné que Physique de la tristesse dure près de 30 minutes. 

«Au début c’était un désastre! Les premières trois scènes n’ont pas marché du tout, admet le cinéaste. Mais j’avais dit à mon producteur que j’étais très à l’aise avec cette technique. Oups…! Mais j’ai persévéré, puis ça m’est venu: j’ai inventé un nouveau style qui correspondait à ce que je voulais faire.»

Ses remarquables peintures prennent vie à l’écran dans des teintes sombres et terreuses. «C’était intuitif, commente Theodore Ushev à ce sujet. C’est un peu inspiré des couleurs des photographies du passé, sombres et délavées à cause de la mauvaise qualité des pellicules de l’époque.»

Autre aspect intuitif de son œuvre : la trame sonore, dans laquelle Françoise Hardy, Men Without Hats et des pièces instrumentales indie rock rythment l’ensemble.

Ensemble qui, dans les premières minutes, est quelque peu essoufflant à regarder.

C’était voulu, souligne à cet égard le cinéaste. «C’est un film labyrinthe. Quand on entre dans un labyrinthe, la première chose qu’on fait est de se perdre. Après ça, on trouve des petites clés pour comprendre comment ça marche pour en sortir à la fin.»

Parlant de labyinthe, Theodore Ushev devra peut-être réapprivoiser celui des Oscars, alors que des rumeurs favorables courent déjà à propos de Physique de la tristesse. Du moins, l’ONF, qui produit et distribue son film, prépare le terrain. 

Le principal intéressé préfère ne pas se faire d’attente. «L’Académie a des goût très étranges parfois, souligne-t-il. Je ne compte pas beaucoup sur ça. Je préfère penser que le film va toucher le public, c’est tout.» 

En ce qui nous concerne, c’est réussi. 


Les Quatre Saisons d’Ushev

Theodore Ushev présente aussi au FNC Vivaldi VVinter, une œuvre expérimentale, hypnotisante, colorée et rythmée par la musique du compositeur italien, qui lui a été commandée par l’Université des arts de Tokyo. 

«Ils ont demandé à quatre cinéastes une animation basée sur une des Quatre Saisons de Vivaldi. Ils m’ont donné l’hiver, parce que j’habite au Canada, j’imagine! Mais mon hiver y est très chaud, très dynamique, pas comme ici», dit-il, amusé.

Et amusé, il l’a été lors sa conception, qui a été pour lui un échappatoire de Physique de la tristesse. «C’est de l’animation pour le plaisir de faire bouger des formes et des couleurs sur la musique.»


Les 13 et 18 octobre au FNC. 

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