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«Le deuxième mari»: fable féministe

L'écrivain Larry Tremblay Photo: Josie Desmarais/Métro

Dans Le deuxième mari, son huitième roman, Larry Tremblay a imaginé un monde étrangement semblable au nôtre
dans lequel un sexe est subordonné à l’autre. À une différence près: ici, ce sont les femmes qui dominent les hommes.

Le moment tant attendu est arrivé. Le jeune Samuel va se marier. «Le plus beau jour de sa vie» est toutefois entaché par un léger détail: il n’a aucune idée d’avec qui il repartira au terme de la cérémonie.

Samuel est issu d’une famille pauvre qui, il le découvre le jour même du mariage, l’a promis à une femme riche qui pourrait avoir l’âge de sa mère.

Et lorsqu’il arrive au domicile de Madame, d’où il ne pourra plus sortir sans sa permission, il réalise, ô surprise, qu’il y a déjà un Monsieur. Samuel est littéralement le deuxième mari de sa femme. 

Il est l’époux plus jeune qui vient lui donner ce que Monsieur, rendu gras et impuissant par ses années de mariage, ne peut plus faire. 

Le court roman est campé sur une île imaginaire, mais ce qui s’y déroule est familier dans beaucoup d’endroits du monde. 

Dans cet univers, les hommes sont élevés pour plaire et obéir aux femmes qui vont les entretenir. Les hommes mariés ne peuvent travailler ni apparaître en public sans leur «grand vêtement rouille» qui cache leur barbe à la vue des regards inquisiteurs. 

Leur vie est réduite à l’univers domestique, dépendante du bon vouloir de leur épouse.

Triste fable

L’auteur de L’orangeraie qualifie son récit de «fable». Une sorte de miroir déformant qui offre un angle nouveau sur notre monde. 

«Si j’ai été motivé pour écrire ce roman, c’est que la condition des femmes est terrible dans beaucoup de pays, explique Larry Tremblay. Je cherchais une façon, un angle pour en parler, une forme. Et j’ai choisi la fable. J’aime beaucoup les fables, parce que ça permet de réfléchir. Ça crée une distance. Comme dans les fables de La Fontaine, où on fait parler les animaux, sachant bien qu’on fait parler des hommes.»

Évidemment, dans Le deuxième mari, lorsqu’on parle du sort des hommes opprimés, on parle de la condition féminine mondiale. De toutes ces femmes qui, comme Samuel, sont soumises et réduites à l’état de bibelots. Et qui, en cas de révolte, sont brutalement réprimées.

Un jour, alors qu’il circule avec Madame, Samuel voit un homme être battu à mort par un groupe de femmes en colère.

«Regarde ce qui arrive aux hommes qui ne respectent plus rien», lui lance sa femme, en le forçant à regarder la scène.

«Ce qui me touche le plus, c’est l’injustice, dit Larry Tremblay. Je ne sais pas pourquoi, si je vois un film, lis un poème ou un roman où l’injustice est exprimée, ça me touche profondément. Comme si ça ouvrait une blessure en moi. C’est le moteur qui me fait écrire et me fait réfléchir.»

Cette injustice n’a pas de nationalité ni de religion, selon le prolifique auteur et dramaturge (The Dragonfly of Chicoutimi), qui a choisi de camper son histoire dans un lieu imaginaire pour ne pas l’associer à une situation particulière.

«Pour rester dans la fable, j’ai voulu éliminer tout vocabulaire exotique, pointu ou un peu trop chargé. Je voulais des mots simples, des phrases pas trop complexes, mais faire simple, c’est compliqué!» -Larry Tremblay

«Mon roman s’adresse à toutes les cultures: occidentales, orientales, africaines, asiatiques, etc. C’est un miroir que je tends aux lecteurs. […] Et c’est pourquoi j’ai éliminé consciemment toute référence à Dieu, à un être supérieur. Il n’y a aucun rite dans ce roman. C’est une affaire d’homme et de femme. C’est avant tout un livre sur le pouvoir. Pourquoi l’homme veut-il le pouvoir sur la femme?»

Le corps comme champ de bataille

Larry Tremblay n’a pas de réponse définitive à cette question lourde de sens, mais l’écriture du Deuxième mari lui a tout de même permis de mieux comprendre comment ce mécanisme de domination finit par s’ancrer dans l’esprit de chacun, dominant comme dominé.

«J’ai essayé de voir toutes les étapes qui font qu’une femme (un homme dans mon roman) accepte d’être dominée, manipulée, réduite à rien. C’est présent dans beaucoup de cultures. La femme, vu la pression sociale, va intérioriser ce processus de domination et finalement l’accepter, parce que c’est institutionnalisé, c’est inscrit dans sa société.»

Malgré sa résistance, la famille de Samuel l’a préparé à devenir un mari idéal. 

On lui a appris à ne pas élever la voix, à devenir obéissant, à écouter les ordres de sa mère et de ses sœurs. On l’a soustrait au monde, mais on l’a enjoint à être beau, à s’entraîner et à se parfumer pour sa future femme. Tout cela en réprimant ses propres désirs.

Après leur union, le corps de Samuel et ses ébats avec Madame deviennent rapidement des lieux d’affrontement pour le pouvoir.

«Parce que j’ai une formation de danseur et que je suis acteur, j’ai toujours écrit sur le corps, admet l’écrivain et poète. C’est presque une obsession chez moi. Dans mes pièces de théâtre, je mets d’abord en scène des corps. Certains personnages sont dans les yeux, dans les épaules, les poumons, le sexe, les hanches. Quand j’écris, je déplace mon propre point de mire, ce qui fait que j’ai des textes «sexe», «cerveau», «crâne», «nez», «œil». Avec L’orangeraie, pour la première fois de ma vie, j’ai écrit du cœur. Ç’a donné un roman qui a touché et ému les gens. Le deuxième mari, c’est davantage les extrémités, les yeux, le bout des doigts. Parce que manipuler l’autre, c’est le garder sous son regard.»

Un livre féministe, Le deuxième mari? Larry Tremblay estime que oui, lui qui l’a écrit pour toucher les lecteurs (et les lectrices), mais aussi pour les faire réfléchir.

«Dans notre société, nous sommes dans le confort. Nous sommes loin [des mariages forcés], mais ce n’est pas une raison pour s’en satisfaire et laisser les autres périr et souffrir dans leur situation dramatique. On doit aussi se questionner. La mondialisation amène tout citoyen à être citoyen du monde et non pas seulement de sa localité, de sa province ou de son pays. Les artistes, qui ont les moyens, la tribune et une compétence pour exprimer une situation, ont la responsabilité de parler du monde. Et non pas seulement de leur environnement immédiat.»


Le deuxième mari

Larry Tremblay

Aux éditions Alto

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