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La double vie de Max dans «La mort de Roi» de Gabrielle Lisa Collard

La double vie de Max dans La mort de Roi
Gabrielle Lisa Collard Photo: Julie Artacho/ Éditions le Cheval d’août

Depuis que son chien est mort (littéralement, pas figurativement), Max, une jeune femme aux idées noires, a cédé à sa pulsion meurtrière. Jouant habilement avec les codes du true crime, le roman La mort de Roi séduit par son style imagé et l’originalité de son récit.

Alors que le Salon du livre de Montréal s’ouvre aujourd’hui, Métro s’est entretenu avec son autrice Gabrielle Lisa Collard.

La mort de Roi est votre premier roman. Comment l’idée de ce récit hors du commun a-t-elle germé dans votre esprit?

Le Roi est inspiré de mon chien, qui s’appelait Salem, mais dont le surnom était Le Bon. En fait, tous les passages parlant du chien dans le livre sont réellement arrivés. Mon chien est mort de la même manière en 2017. Je l’avais depuis mes 19 ans, on était super proches. J’ai donc écrit sa mort en m’inspirant de mon propre deuil. Après ça, évidemment, je n’ai jamais tué personne (Rires).

J’ai vraiment beaucoup vécu mon deuil en jouant avec cette histoire, en prenant des éléments existants et en les amenant vraiment trop loin. C’était cathartique!

À cet égard, le récit prend d’ailleurs une tournure inattendue. Juste comme on commence à s’attacher à Max, on découvre cette facette très violente et troublante d’elle. Comment avez-vous voulu jouer avec les sentiments des lecteurs dans la construction de la trame narrative?

Je voulais faire plus qu’immortaliser mon chien et vivre des affaires à travers ça. À la base, je consomme vraiment beaucoup de true crime, et l’idée de la double vie m’a toujours terrifiée. Je pense à quelqu’un comme John Wayne Gacy, qui était un bon père de famille et qui, en même temps, tuait et mangeait des enfants.

J’avais envie de faire un personnage de tueur en série, mais qui n’est pas unidimensionnel, froid et calculateur. Je voulais un personnage un peu plus étoffé, car je trouvais intéressant d’explorer cet inconfort. C’est un personnage dont on comprend la souffrance, mais qui est aussi complètement folle. J’ai beaucoup utilisé le rapport avec son chien pour l’humaniser.

La plupart des histoires de tueur en série sont celles d’hommes qui s’en prennent à des femmes, alors que votre «héroïne» fait l’inverse. Vouliez-vous renverser la tendance?

C’est malheureusement la réalité aussi. Des tueuses en série, il y en a peu et, souvent, ce sont des histoires de vengeance. Je voulais faire autre chose que le récit qu’on voit tout le temps, celui d’un homme narcissique qui agit sur des pulsions sexuelles. Je voulais juste qu’elle soit folle raide, c’est tout. (Rires)

Elle justifie son comportement d’une manière ou d’une autre sur le moment, mais en réalité, elle est juste complètement crinquée. (Rires)

Quelle relation avez-vous avec votre protagoniste? Malgré ses crimes, l’aimez-vous tout de même?

Comme c’est un premier roman, elle relève beaucoup de l’autofiction. Son enfance, à part ses tendances criminelles qui la font entrer chez les gens, ressemble à la mienne. Moi aussi, je viens de Sherbrooke; moi aussi, j’ai été victime d’intimidation. Maintenant, je vis dans NDG, comme elle, et son copain dans le livre est inspiré de mon copain de l’époque.

Bref, si on enlève ma vie sociale qui va super bien et le fait que je n’ai envie de tuer personne, elle est très proche de moi. Puis, j’ai pris tous les trucs laids, immatures et gênants de ma personnalité et de mes angoisses et je les ai poussés au maximum. À partir du moment où j’ai décidé que ce personnage glissait, je suis allée beaucoup plus loin là-dedans.

Vous parliez de catharsis un peu plus tôt. À quel point les actes que vous faites poser à Max relèvent-ils d’une certaine vengeance par l’imaginaire?

J’allais là parce qu’effectivement, on a l’habitude de se faire raconter les vengeances féminines comme ça; elles ont toujours une raison d’être. Alors qu’un tueur en série agit en réponse à une pulsion. Je me rends compte que j’essayais de justifier le comportement de Max.

Presque chacun des personnages qu’elle rencontre provoque une émotion négative chez elle, que ce soit quelqu’un qui la met mal à l’aise, quelqu’un de trop dans sa bulle, quelqu’un de juste un peu laid… Mais j’ai essayé de ne pas aller trop là, parce que je ne voulais rien justifier.

Évidemment, si j’avais à tuer quelqu’un, j’espère que j’aurais vraiment une bonne raison! (Rires) Elle, elle se donne des microjustifications, mais en réalité, elle ne peut tout simplement pas s’en empêcher.

Bien sûr, j’évolue quand même dans un monde très misogyne. On peut comprendre qu’une femme en arrive à avoir envie de trancher la gorge à quelqu’un parce qu’elle se fait constamment emmerder, mais je n’avais pas envie de faire un autre récit avec des femmes victimisées, on en lit déjà en masse. Donc, ce n’est pas si politique, ni dans la revanche.

Il y a un grand contraste entre les émotions fortes éprouvées par Max après la mort de son chien et l’indifférence totale avec laquelle elle exécute ses victimes. Qu’est-ce qui vous plaisait dans cette opposition?

Elle est très misanthrope, elle ne s’attache pas tant que ça aux humains, mais elle s’attache aux animaux. C’est le cas de beaucoup de gens. J’ai toujours aimé les chiens. Cet animal nous accepte et nous aime inconditionnellement, contrairement aux humains.

Je pense que, dans le contexte d’un personnage qui n’a pas de bons rapports sociaux, c’est logique que les seuls liens affectifs qu’elle soit capable d’entretenir soient ceux avec son animal et quelques rares personnes. Et puis, le fait de devoir prendre soin de son chien lui permettait d’apprendre à vivre et à prendre soin d’elle.

D’ailleurs, la mort de Roi fait sortir le «monstre» qui sommeillait en elle…

Le chien a mis un pansement là-dessus, parce qu’elle devait s’assurer de toujours pouvoir s’en occuper. Mais la mort du chien n’a pas causé son comportement, elle a seulement fait tomber la seule barrière qui la retenait.

On a parlé de true crime, mais il y a aussi beaucoup d’humour dans votre récit, notamment dans les propos acerbes de la protagoniste. Quel équilibre cherchiez-vous à atteindre dans ce mélange des genres?

Ce livre était quand même brutal à écrire. Je vivais un vrai deuil, de la vraie douleur. Je ne voulais pas séjourner trop longtemps dans certaines émotions, sinon ça aurait été lourd. J’avais envie d’écrire quelque chose qui ne me mettrait pas à terre. Donc, pour moi, c’était important de varier entre le lourd et le léger, selon ma capacité à creuser dans le dégueu. (Rires) Par moments, c’est très lyrique, très violent, très intense ou très cynique.

Et puis, comme c’est mon premier roman, je m’empêchais d’aller à plein de place. Je me disais : «Ah non, pas ça», «Non, ça, c’est surfait» ou «Ça, c’est quétaine»… Je naviguais en zigzag entre un paquet d’affaires. Et c’est dur, écrire des scènes de meurtre! Je ne le savais pas, car je n’en avais jamais écrites, mais c’est dégueulasse! L’humour m’a donc permis de préserver ma santé mentale (Rires).

Il y a énormément de références au café dans La mort de Roi. Max en boit constamment. Qu’est-ce que cette boisson symbolise pour vous?

Rien. En fait, je dois boire 45 tasses de café par jour. (Rires) Donc, elle aussi, ça fait partie de son quotidien.

Avez-vous eu besoin de beaucoup de café pour écrire ce roman?

Énormément! Mon Dieu… Il faudrait que j’essaie d’estimer le nombre de tasses…Des dizaines et des dizaines!

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