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L’art est un oiseau rebelle

La gang à Rambrou, un organisme qui offre une formation artistique à des adultes vivant avec des déficiences physiques et mentales, travaille présentement au projet le plus ambitieux de son histoire: monter une adaptation de l’opéra Carmen de Bizet en collaboration avec l’Opéra de Montréal et le présenter à la Cinquième Salle de la Place des Arts.

Par un vendredi de décembre, une grande fébrilité règne dans les locaux de La gang à Rambrou, dans l’est de Montréal. 

L’ensemble de la troupe, soit une cinquantaine de participants, est réuni lors de cette première répétition générale.

À moins de deux semaines du jour J, musiciens, chanteurs, comédiens et danseurs peaufinent leur numéro sous la direction de leurs professeurs.  

Malgré les accrocs inhérents à toute répétition et les limitations de chacun, les choses vont rondement.

«Ils ont des attitudes de professionnels. Ils sont tous à leur place, personne ne dit: “C’est trop long, je suis fatigué, je veux m’arrêter.” Ils sont vraiment concentrés. C’est le résultat d’années de pratique», confie avec une certaine fierté Suzanne Beaulieu, directrice générale de l’organisation.

Entre les mains de La gang à Rambrou, Carmen est devenu Prends garde à toi!, un spectacle qui mélange théâtre et musique, tout en reprenant les airs les plus connus de Georges Bizet. Le thème central: l’intimidation.

Si la Carmen de Bizet est à la tête d’une bande de contrebandiers, la Carmen de Rambrou est la leader d’un gang de rue qui fait la contrebande de… boites à lunch et qui divise ses amis pour mieux les recruter. 

«Quand on leur a demandé qui, parmi eux, avait été victime d’intimidation, ils ont tous levé la main», explique Suzanne Beaulieu, qui a bâti le scénario au fil de séances d’improvisation avec les participants.  

«Ils se font traiter de tous les noms – de débiles, de niaiseux, de mongols. Certains ont subi des choses assez atroces étant enfant ou adolescent. Adulte, ça arrive moins souvent, mais ça arrive encore. Dans les transports, les sports, les loisirs, les centres de réadaptation… Des fois même dans les familles, sous le couvert de l’humour.»

La douleur marque donc les paroles des chansons du spectacle, composées en atelier avec les membres de la troupe.

«Je ne suis l’enfant de personne/Aux yeux du monde je ne vaux pas grand-chose/ Si tu ne m’aimes pas, je ne t’aime pas non plus /et si tu me fais mal prends garde à toi», chante la chorale sur l’air archiconnu de L’amour est un oiseau rebelle.

«L’intimidation, ça détruit des vies, affirme Gabriel Hervieux, multi-instrumentiste malvoyant, qui manie les claviers, la batterie, la flûte et même les castagnettes dans Prends garde à toi!

«J’en ai vécu et je m’en suis sorti, mais il y en a aujourd’hui qui sont encore marqués par ça. C’est important que les gens le sachent et soient capables de le voir. C’est un sujet de société. Si on veut que notre société soit capable de fonctionner et que les gens soient heureux, il faut être capable d’en parler et de trouver des solutions.»

«Il y a des artistes dans les populations marginalisées, et ils ont quelque chose à dire sur une scène. Ils ont l’Investissement, la volonté et le goût de montrer ce qu’ils peuvent faire.» Valérie Walker, musicothérapeute

Avec les professionnels

Prends garde à toi! est réalisé en partenariat avec l’Opéra de Montréal, qui a fait profiter La gang à Rambrou de son expertise.

Cinq chanteurs d’opéra professionnels se joindront aux participants sur scène. Le réalisateur Charles Binamé, qui a assuré la mise en scène de Carmen à l’Opéra de Montréal le printemps dernier, offrira également ses conseils, tandis que l’auteur Pascal Blanchet aidera à peaufiner le scénario.

«L’idée était d’ouvrir nos portes à La gang à Rambrou pour qu’ils connaissent l’opéra et qu’ils viennent voir comment on travaille», explique Pierre Vachon, directeur de l’action communautaire et éducative à l’Opéra de Montréal.

Lui-même musicologue, M. Vachon a également initié les participants à la beauté de l’opéra. Leur réaction fut plus qu’enthousiaste.

«J’étais un peu craintif au départ. Allaient-ils comprendre? Mais ils ont été fascinés rapidement.» 

«L’opéra est un art multidimensionnel qui touche à toutes les dimensions de la personnalité. Certains sont plus sensibles à la musique, d’autres au mouvement, d’autres à l’histoire racontée, d’autres aux costumes. Chacun peut trouver une place là-dedans, c’est la beauté de l’opéra.»

La collaboration avec l’Opéra de Montréal marque une étape importante pour La gang à Rambrou, une compagnie bien rodée qui présente chaque année des spectacles dans les maisons de la culture.

«Je pense que ç’a un effet stimulant pour nos élèves, estime Valérie Walker, musicothérapeute et soprano. Ils se disent: “Wow! On a des professionnels avec nous, de belles voix d’opéra.” Ça leur donne un sentiment d’appartenance à quelque chose qui est de qualité. On nivelle par le haut.»

«Il ne faut pas viser la perfection, mais on n’est pas complaisant non plus, ajoute son collègue Jean-François Fortier. On prend en compte leurs limites. Mais si on donne un rôle à une personne, on sait qu’elle est capable de livrer la marchandise.»

En confiance

La générale se termine dans l’enthousiasme. Avant le traditionnel chocolat chaud qui clôt la répétition, Suzanne Beaulieu prend le temps de féliciter tout le monde avant de laisser la parole aux participants.

Tour à tour, ils soulignent leurs bons coups sous un tonnerre d’applaudissements. «La pièce, c’est vraiment un truc de ouf! Encore quelques pratiques et je pense qu’on va être prêt pour l’opéra!» lance Thibault, l’un des interprètes principaux. 

«Ça me touche au cœur», ajoute Camille, qui se glisse dans la peau de Carmen. L’intensité augmente d’un cran lorsque Mme Beaulieu annonce que les 350 billets disponibles pour l’unique représentation du 17 décembre sont déjà vendus. 

«On va avoir du fun là-bas, let’s do this, let’s do this!», conclut Gabriel, gonflé à bloc, déclenchant une autre ovation. 

Le moral est excellent, et tout le monde est prêt à mettre les bouchées doubles pour le dernier sprint. 

«Il reste encore des petites choses à travailler, mais grosso modo, la fondation est construite, reste seulement à mettre des bardeaux sur le toit», illustre Gabriel Hervieux.

«C’est toujours stressant, et là, ça va l’être encore plus, vu que c’est la Place des Arts, ajoute Simon Marcotte-Tremblay, l’un des danseurs de la troupe. C’est plus en coulisses que je suis nerveux, mais une fois sur scène, ça va bien. Je lâche mon fou.»

Professeurs et intervenants sont aussi en confiance.

«Ils me surprennent toujours sur scène, dit Suzanne Beaulieu. Ils vont se permettre des choses qu’ils ne se sont pas permises en pratique. J’ai l’impression que c’est un peu la même chose chez les artistes professionnels. Ils économisent leur énergie au cours des pratiques, mais se donnent à fond sur scène. Chacun trouve un moment pour nous surprendre agréablement.» 


Un peu d’info

Prends garde à toi!

Mardi 17 décembre

À la Cinquième Salle de la Place des Arts

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