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«Les Misérables»: Tous ensemble dans la même misère

Les misérables
Les Misérables, mettant en vedette Alexis Menenti (au centre) et Steve Tientcheu (à gauche), prend l’affiche demain. Photo: Lyly Films

Dans Les Misérables, long métrage coup-de-poing abordant les violences policières en banlieue parisienne, il n’y a ni gentils ni méchants. Ni gagnants ni perdants. Ou plutôt, si, il y a des perdants. Que des perdants.

C’est du moins l’avis de Steve Tientcheu, qui tient le rôle du Maire, figure de grand frère pour les jeunes défavorisés de la banlieue de Montfermeil, où a été tourné ce premier long métrage de fiction de Ladj Ly, cinéaste qui a grandi et qui réside toujours dans ce quartier.

«À la fin, on est tous ensemble dans cette même misère. Tout le monde est perdant», laisse tomber l’acteur rencontré dans le cadre du festival Cinemania l’automne dernier en compagnie de son collègue Alexis Menenti, qui interprète le policier Chris et qui est également co-scénariste du film.

«Tout le monde», ce sont les nombreux personnages qui rythment l’action de cette chaude journée d’été: un trio de policiers, un groupe d’enfants laissés à eux-mêmes, le Maire et son entourage, des marchands, des prédicateurs… et même un lionceau!

Dans cet environnement déjà tendu, une altercation survient entre les policiers et les jeunes. Altercation qui, modernité oblige, se trouve à être captée par le drone d’un enfant. C’est alors que la situation s’envenime, jusqu’à culminer dans une scène finale chargée dont l’issue laisse peu de place à l’espoir.

Une des forces de ce film lauréat du Prix du Jury au Festival de Cannes l’an dernier – et qui, il y a fort à parier, se retrouvera dans la course à l’Oscar du Meilleur film en langue étrangère la semaine prochaine – est qu’il expose de façon subtile et nuancée la complexité des problèmes sociaux des milieux défavorisés sans jamais prendre parti ni montrer quiconque du doigt.

Steve Tientcheu attribue cette réussite à la force du scénario. «Ça motive à faire un projet comme ça», dit-il.

«Ça c’est fait d’abord à l’écriture, confirme Alexis Menenti, qui a co-scénarisé Les Misérables avec Ladj Ly. On a essayé de créer des personnages complexes. Ensuite, chaque comédien a ajouté une autre couche de complexité avec son interprétation. Tous les acteurs du film ont défendu leur personnage avec justesse, ils ont cherché à ne pas les juger et à les défendre au maximum. C’est ce qui donne ce résultat.»

Son collègue acquiesce et ajoute: «Quand on joue un personnage, il faut tout accepter, ses bons comme ses mauvais côtés; il faut en tomber amoureux.»

Pas évident de tomber amoureux d’un homme comme Chris, policier à la mèche courte et tombant facilement dans l’abus de pouvoir joué par le co-scénariste.

«Je lui ai créé un parcours en me posant des questions: Qu’est-ce qui l’a poussé à être comme il est? Où est-il né? A-t-il des frères et sœurs? Quelle a été sa première rencontre amoureuse? Est-ce qu’il est déçu par rapport à ça? Est-il sensible, fragile?»

«Il faut montrer à ces jeunes que c’est possible de croire en ses rêves.» Steve Tientcheu, acteur, à propos des jeunes des banlieues défavorisées

Symbolisme

Tout est empreint d’un puissant symbolisme dans Les Misérables, à commencer par le titre même du film, référence au célèbre roman de Victor Hugo paru en 1862, dont l’intrigue se déroulait aussi chez les plus démunis de Montfermeil.

«Il y a un parallèle géographique et historique», soutient Alexis Menenti, précisant que certains personnages du film sont même inspirés de ceux du livre.

Ce n’était pas le cas du court métrage Les Misérables (2016), aussi signé Ladj Ly, dont découle cette version aboutie qui prendra l’affiche au Québec ce vendredi.

Il y a aussi un contraste troublant entre la scène d’ouverture, tournée en pleine célébration de la victoire de la France à la Coupe du monde de 2018, dans une ambiance rassembleuse et festive, et la scène finale, dont on taira ici la teneur.

«À la base, cette intro n’était pas dans le scénario, parce qu’on ne savait pas que la France allait être en finale. Le soir même de la finale, Ladj Ly a trouvé ce symbole fort et on a décidé d’aller filmer les scènes de fête pour les intégrer au film», relate le co-scénariste.

Cette scène bien réelle, de même que toutes celles qui suivent, aussi fictives soient-elles, sont d’un hyper-réalisme saisissant. Ce n’est pas un hasard: le réalisateur a fait ses armes dans le documentaire. Il s’est inspiré de cette approche cinématographique lors du tournage, notamment en incluant les habitants du quartier dans son projet.

«Ladj dit que son plateau de cinéma, c’est son quartier», résume Alexis Menenti.

Par la similitude des thèmes qu’ils abordent, Les Misérables est souvent comparé au film culte La haine, de Mathieu Kassovitz, dont on soulignait les 25 ans l’an dernier.

Si les deux œuvres se déroulent dans le contexte des banlieues, Steve Tientcheu retient surtout qu’«on peut les comparer parce que les deux traitent de problèmes sociaux qui n’ont toujours pas été réglés 25 ans plus tard.»

Par sa façon de montrer une escalade de tension entre divers groupes d’un même quartier par une journée caniculaire, le long métrage de Ladj Ly rappelle également Do The Right Thing de Spike Lee, dont l’action se déroule dans le Brooklyn des années 1980.

C’est que ce contexte est propice aux dérapages.

«L’été dans les quartiers, c’est un moment où les gens qui n’ont pas d’argent ne partent pas en vacances. Il fait chaud, plein de choses se passent, les enfants sont dans les rues…», énumère Alexis Menenti, précisant ne pas avoir été particulièrement influencé par ce film.

L’action des Misérables évoque par ailleurs les nombreux cas de bavures policières qui ont fait les manchettes ces dernières années, aux États-Unis, mais aussi ailleurs dans le monde.

«Ça parle à beaucoup de gens, et ce, partout dans le monde, parce que ce problème, on n’est pas les seuls à l’avoir», souligne l’interprète du Maire.

Qu’est-ce que les deux acteurs voudraient que le public retienne de ce film poignant?

«Le public, il retiendra que c’est un bon film. C’est plus les politiciens qu’on aimerait voir retenir quelque chose!» répond Steve Tientcheu d’un ton catégorique, insistant sur le fait que les solutions aux enjeux abordés dans le film sont d’abord et avant tout politiques.

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