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«Deux et demie»: fraction de vie

«Deux et demie»: fraction de vie
Carolanne Foucher Photo: Collaboration spéciale Éva-Maude TC

La poète et comédienne Carolanne Foucher a lancé son recueil en direct de son appartement sur Facebook hier, plutôt que dans un bar, comme prévu avant les mesures de confinement. Ce revirement de situation tombait presque bien, puisque l’essentiel de Deux et demie se déroule, justement, entre les murs d’un 2 ½.

Comme la plupart des artistes, la poète qui vit à Québec s’est mise en mode solution pour adapter son événement à notre nouvelle réalité.

«C’est mon premier recueil; je voulais que ce soit mémorable, et je pense que ça va l’être!» dit-elle au bout du fil en riant.

Dans Deux et demie, sa protagoniste anonyme raconte au «je» comment elle est retombée amoureuse de son ex du secondaire. Comment ils ont retrouvé le mode d’emploi l’un de l’autre. Comment leur relation a rapidement pris du galon. La preuve: elle lui permet de manger la sauce à «spag» de sa mère et ils en sont rendus à la saison 8 de The Office. Ça, c’est du sérieux!

Elle relate aussi comment cet amour gourmand, qui s’est d’abord consommé comme un véritable festin, s’est terminé par une discussion «sèche comme une toast Melba». Comment il s’est répandu en mille miettes.

Les références à la bouffe sont d’ailleurs nombreuses dans ce recueil de poésie narrative. Elles expriment le meilleur – «et l’odeur des pâtisseries au four/je cuisine je cuisine sans cesse/depuis que tu es dans ma vie» – et le pire – «un sachet de fromage en poudre/et des pâtes en tube/le bouillon de poulet de ma génération/le remplaçant de maman».

Quel plaisir Carolanne Foucher a-t-elle pris à jouer avec la nourriture?

«Ça s’inscrit dans mes métaphores et dans ma façon de parler de la vie, parce que la nourriture et mon rapport avec elle font vraiment partie de mon quotidien, détaille-t-elle. La bouffe illustre tellement bien les choses. Elle a une odeur, un goût, une texture, une image.»

Deux est demie est aussi truffé de références à l’enfance de la narratrice, notamment à la console Nintendo 64, mais surtout aux polly pockets, jouets emblématiques avec lesquels bon nombre de jeunes filles ont grandi dans les années 1990. Une de ces minimaisons de poupées qui s’ouvrent et se ferment comme un coquillage illustre d’ailleurs la jolie couverture rose fluo du recueil.

La poète n’y échappe pas: cet objet a été au premier plan dans son enfance. Même qu’elle documentait à l’écrit ses séances de jeu.

«Je me rends compte à quel point ça fait longtemps que je me dirige vers l’écriture, réfléchit-elle à voix haute. Quand j’arrêtais de jouer, j’écrivais où j’étais rendue dans mon histoire avec tous mes personnages. Puis, quand je reprenais mes polly pockets, je repartais d’où j’étais rendue.»

Ce jeu d’enfance symbolise aussi le logement minuscule témoin des hauts et des bas de son héroïne.

«Dans un polly pocket, c’est normal d’avoir un petit lit à côté d’une petite cuisine. Un 2 ½, c’est vraiment un polly pocket plié!»

En dedans de soi

Le titre du recueil fait ainsi référence à cet appartement format polly pocket. Il a cependant un double sens, puisque sa protagoniste découvre après sa rupture qu’elle porte la vie en elle.

Carolanne Foucher illustre d’ailleurs le bouleversement intérieur que vit son héroïne de façon chavirante. En très peu de mots, elle transmet les pensées troubles et complexes qui habitent une femme qui choisit de se faire avorter.

Lorsqu’on aborde le sujet, elle reste silencieuse un instant, comme pour bien choisir ses mots, puis elle explique: «C’est quelque chose, l’avortement. Ça nous appartient tellement, mais un lien se fait quand même avec ce qui se passe en dedans de soi, dit-elle. J’avais envie de parler de ce feeling de cohabiter avec quelqu’un dans un si petit lieu, même si on sait qu’on ne le gardera pas. Déjà qu’on est coincé dans un 2 ½, là on est un et demi en dedans de soi.»

La poète établit ainsi un fascinant parallèle entre l’appartement et le corps de son personnage.

«Deux et demie, ça parle de ce petit espace à soi qu’on n’a pas le choix de partager avec un autre.»

Poésie imagée

Carolanne Foucher a mis du temps à assumer son statut de poète.

«Parce que j’ai étudié en théâtre, ce n’est pas difficile pour moi de dire que je suis comédienne: j’ai un diplôme, c’est mon travail.»

Reste qu’elle a toujours écrit pour le plaisir, dans ses moments libres. «C’est un moyen d’expression très fort pour moi, donc je suis super prolifique», explique-t-elle.

Au point d’avoir assemblé suffisamment de poèmes pour en faire un recueil, que les éditions de Ta mère ont d’emblée accepté de publier.

«C’est plus facile d’assumer qu’on est poète quand quelqu’un a envie de nous publier», lance-t-elle en riant.

Selon elle, on trouve de la poésie dans toutes les pratiques artistiques. «Quelqu’un m’a dit ça, et je le répète toujours: la poésie est un rapprochement d’images inattendues. Elle apparaît à n’importe quel moment où tu te dis: “Oh! Ces deux choses ensemble créent un nouveau sens.”»

«Non seulement elle partage son deux et demie avec un gars, mais elle en vient à partager son corps avec un tout petit bout de création humaine pendant un moment, et elle se demande comment gérer ce partage de ses choses, de son intimité, de sa personne.» Carolanne Foucher, poète et comédienne, à propos de ce que vit sa protagoniste

Peu importe le format, l’important est de raconter une histoire, souligne Carolanne Foucher. Comme Deux et demie est un monologue intérieur, elle jugeait plus approprié de la raconter en poèmes.

Au contraire de sa pièce Manipuler avec soin, dont la diffusion est prévue en mai au théâtre La Licorne. À ce sujet, l’autrice précise que les représentations sont maintenues pour l’instant. «Mais il est très possible que les saisons théâtrales au complet sautent.»

Lire en temps de pandémie

Au moment où nous écrivions ces lignes, la plupart des librairies étaient ouvertes à Montréal, mais la situation évolue sans cesse. Contactez votre commerce de quartier avant de vous déplacer. Même en isolement, il est possible d’acheter des livres sur le web. Pour encourager les librairies indépendantes, on recommande le site leslibraires.ca. On peut aussi emprunter des livres en format numérique auprès des bibliothèques montréalaises au bibliomontreal.com/numerique et au numerique.banq.qc.ca.


Deux et demie
Aux éditions de Ta mère

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