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Madeleine Ducharme, la reine du Château

Madeleine Ducharme
Madeleine Ducharme Photo: Collaboration spéciale Les Films du Centaure

Au Château Beaurivage, la pétillante Madeleine Ducharme a mené une vie de reine ou tout comme. Ses enfants la visitaient régulièrement, elle jouait aux cartes, ricanait et partageait des repas avec ses amis. Bref, elle était heureuse. Mais au fil des saisons, son état de santé s’est dégradé. Son fils Denys Desjardins documente sa perte d’autonomie dans Le Château.

Ce documentaire qui pose un éclairage touchant sur la vieillesse prend l’affiche à un drôle de moment pour son réalisateur, qui surmonte actuellement «une épreuve collective et personnelle». C’est que la protagoniste de son film, «la meilleure maman du monde», est décédée le mois dernier des suites de la COVID-19 en CHSLD.

«C’est un mélange d’émotions que de se rendre compte que la vie de ma mère, qui est maintenant en film, se retrouve au cœur d’une grande réflexion collective sur le vieillissement et sur l’état de nos résidences pour aînés», dit-il.

Au départ, Denys Desjardins souhaitait documenter le quotidien des personnes âgées vivant en résidence privée, milieu avec lequel il s’est familiarisé lorsque sa mère y a été logée.

«On ne visite pas souvent ces endroits à moins d’y avoir de la parenté. Ça a été pour moi la découverte d’un monde. J’avais l’impression d’être dans un tout inclus, mais pas à Cuba; à Montréal. Pour un cinéaste, ça stimule l’imaginaire.»

Tout inclus, c’est justement le nom d’une pièce de théâtre documentaire de François Grisé qui, elle aussi, se penche sur ces milieux de vie. Sans avoir pu la voir, Denys Desjardins voit des similarités dans ces projets.

«Je crois qu’on avait la volonté commune d’entrer dans les résidences pour aînés, de voir comment ça se passe et de suivre la vie des gens qui y habitent, sans vouloir dénoncer quoi que ce soit.»

Mais voilà. Alors que dans les premières minutes du film, sa mère confie qu’elle ne se voit pas vieillir, son fils et sa caméra sont bel et bien témoins de sa perte de mémoire progressive. On en a une manifestation émouvante durant le film par les messages vocaux de plus en plus confus qu’elle lui a laissés. 

Petit à petit, il est devenu évident que Mme Ducharme deviendrait le personnage central de son documentaire. «La réalité nous rattrape toujours au cinéma. Plus ça allait, plus je me rendais compte que ce film serait un portrait de ma mère.»

Madeleine Ducharme, «à la vie à la mort»

Le Château témoigne aussi de comment les enfants des personnes en perte d’autonomie sont confrontés au vieillissement de leurs parents. Dans une scène bouleversante à regarder – et «bouleversante à filmer», confirme Denys Desjardins –, on voit le cinéaste et sa sœur expliquer tant bien que mal à leur mère qu’elle devra déménager afin de recevoir des soins mieux adaptés à ses besoins.

Celle-ci, troublée, répète qu’elle avait pourtant signé un contrat pour demeurer dans son logement «à la vie, à la mort».

«Le film montre aussi comment on en vient à devenir les parents de ses parents, observe le cinéaste. C’est un peu ce que ma sœur et moi avons vécu.»

Filmer ces moments intimes d’une vie a été un grand défi pour le cinéaste qui a plusieurs documentaires derrière la cravate, dont Au pays des colons et Mon œil pour une caméra. Le Château est sans aucun doute le plus personnel de sa filmographie.

«Le plus difficile a été d’aborder la vieillesse sans en faire une caricature, de trouver l’approche pour que ce soit respectueux. Je ne voulais pas entrer avec une caméra et faire un reportage.» Denys Desjardins, documentariste

Aussi intime soit-il, son docu a une grande portée sociale, puisqu’il rend compte d’une situation vécue par de nombreux Québécois. «Si le film était présenté en Afrique, peut-être qu’on on trouverait surréaliste là-bas qu’on empile les personnes âgées de cette façon. Nous, on ne s’en aperçoit même plus, on l’a tenu pour acquis.»

Ceci dit, la crise de la COVID-19 dans les CHSLD remet en question tout le système de soutien aux aînés. Selon Denys Desjardins, «c’est une réflexion qu’on devra mener.»

Il la poursuivra d’ailleurs dans ses deux prochains documentaires. Le premier sera une suite du Château, qui prend fin avec l’annonce du transfert de sa mère en CHSLD. Son titre de travail: J’ai placé ma mère. «Parce que j’ai filmé ma mère jusqu’à la toute fin», explique-t-il.

En parallèle, il planche sur un documentaire sur l’industrie de la vieillesse afin de comprendre «comment on en est arrivé là». «Je ne vais pas le cacher: comme bien d’autres, j’ai été amené à un peu abandonner ma mère, admet-il. Je l’ai laissée à ce système.»

Le cinéaste espère que la crise de la COVID-19 changera notre rapport aux aînés. «La population est vieillissante, on a intérêt à changer le système si on ne veut pas répéter les mêmes erreurs.»

Parce qu’il y a une brèche en toute chose, comme le disait Leonard Cohen, un rayon de lumière traverse ce drame. Quelques semaines à peine avant son décès, Madeleine Ducharme a pu assister à la première du film dont elle est la vedette dans le cadre des Rendez-Vous Québec Cinéma.

«La salle était pleine – d’ailleurs, ça me semble surréaliste à imaginer, ce serait criminel aujourd’hui! – Elle était bien entourée et on a eu une belle soirée. C’était très émouvant de la voir là.»

Le Château, mettant en vedette Madeleine Ducharme, sera offert sur Illico dès mardi 5 mai. Il atterrira sur les autres plateformes dès le 19 mai. 

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