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Pas si cute, le mignon

Trop Mignon! Mythologies du cute
Un chapitre de Trop Mignon! Mythologies du cute est consacré à Lil Bub, cette chatte naine souffrant d’ostéopétrose devenue une véritable vedette et décédée en décembre dernier. L’essai est publié aux éditions Puf Photo: Getty

Inoffensives, les vidéos de chats sur le web? Moins qu’on le pense, prévient l’historien de la photographie Vincent Lavoie dans son essai Trop mignon? Mythologies du cute. Employée à des fins de propagande, oppressive à plusieurs égard et incitant à la violence, la culture du cute ne l’est finalement pas tant que ça.

«Il y a une ambiguïté fondamentale à la mignonnerie, déclare d’emblée en entrevue l’auteur, également professeur en histoire de l’art à l’UQAM et directeur du centre de recherche Figura. Des images en apparence totalement innocentes, ludiques, produites pour le simple divertissement recouvrent parfois une violence ou des ambivalences assez sérieuses.»

Le constat semble lourd a priori. Après tout, on ne parle que d’irrésistibles chatons, d’adorables personnages de dessins animés ou encore de bébés joufflus beaux à croquer.

Mais justement, cette irrépressible envie de mordiller la jambe potelée d’un nouveau-né en dit long sur les pulsions de violence que suscite le mignon, affirme Vincent Lavoie.

«D’où le titre de l’ouvrage, Trop mignon? dit-il. Le “trop” a un sens. D’abord, est-ce qu’il y a trop d’images comme celles-là? Le “trop”, c’est aussi notre réaction excessive lorsqu’on regarde ces images. Il renvoie à l’idée d’une limite atteinte. Ces réactions semblent exprimer le contraire que serait censé susciter l’image ou l’objet en question.»

Outre cette ambivalence que suscite tout ce qui est cute d’un point de vue psychologique, ces images sont souvent utilisées à des fins d’endoctrinement.

«Ces images sont une source d’enseignement. Elles ont plus de profondeur qu’on l’avait pressenti au premier abord.» Vincent Lavoie, historien et professeur

Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses photos de soldats flattant des chats ont été captées et diffusées, tant du côté des Alliés que de l’Axe. Le Tumblr Nazi With Cats en recense. «Tout au long de l’histoire du XXe siècle, on a utilisé les animaux juvéniles, ceux qu’on trouve mignons et qui peuvent nous attendrir, comme une sorte de contre-pouvoir ou de masque à la violence du fait militaire», soutient Vincent Lavoie.

Plus récemment, Daesh a repris et adapté cette formule avec le mot-clic #catsofjihad, montrant de mignonnes petites bêtes aux côtés d’armes à feu. «Ils utilisent précisément ce qu’on aime – les chatons – et le mettent en scène dans un cadre militaire pour humaniser et modifier notre perception du djihadisme», analyse l’auteur.

À une autre échelle, Joe Exotic, la vedette de la populaire série documentaire Tiger King, s’est prêté au jeu en se faisant photographier abondamment avec des bébés tigres dans les bras. Il purge actuellement une peine de 22 ans de prison pour complot pour meurtre et maltraitance d’animaux.

Le côté sombre du mignon

Notre obsession pour le mignon existe depuis bien avant l’arrivée des gifs et des mèmes mettant en vedette Atilla Fluff, Happy Cat, Grumpy Cat ou Lil Bub, ces stars félines du web. Dès 1913, la bande dessinée Krazy Kat faisait un tabac dans les journaux américains. «Addictif, court et ludique, Krazy Kat se présente comme l’ancêtre des vidéos animalières comiques», écrit Vincent Lavoie dans son essai. 

Il n’y a pas que les chats qui sont mignons : une célèbre souris a conquis le cœur de générations d’enfants grâce aux traits juvéniles que lui a donnés son créateur, Walt Disney.

L’apparence de Mickey Mouse s’est arrondie au fil des ans, lui conférant un air plus infantile. Cette transformation n’est pas anodine puisqu’elle susciterait davantage d’empathie et de bienveillance envers le personnage.

C’est du moins ce qu’a conclu le biologiste autrichien Konrad Lorenz en établissant une charte de la mignonnerie nommée «Kindchenschema», ou le «schéma enfant». Le principe est simple :
plus une personne a des attributs physiques s’apparentant à un jeune enfant – grands yeux, formes arrondies, etc. –, plus on a l’instinct de la protéger. «Façon de dire que notre progéniture a intérêt à être mignonne si elle veut qu’on s’occupe bien d’elle!» rigole l’historien.

En plus du fait que cette théorie a été développée en plein nazisme par un scientifique membre du parti, il est troublant de constater que ces caractéristiques physiques associées à l’innocence et à la vulnérabilité se muent en critères d’attirance sexuelle lorsqu’on les trouve chez les femmes, ce qui va à l’encontre du féminisme, souligne l’auteur. 

Refuge aux horreurs

On ne regardera plus les vidéos de chats sur Internet comme avant après avoir lu Trop mignon! Mais Vincent Lavoie ne condamne pas pour autant ce divertissement associé à un plaisir simple et immédiat.

En cette période angoissante marquée par la pandémie de la COVID-19, ces contenus peuvent servir de refuge «aux microagressions du quotidien», souligne l’expert. «Quelles sont les autres images qui nous assaillent et nous sollicitent? Ce sont souvent des images d’actualité qui sont le reflet d’une société faite d’affrontements. Avec les vidéos de chatons, on peut sans problème – et c’est même requis – suspendre tout effort analytique et s’abandonner pendant quelques instants, parfois plus longtemps!»

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