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«Relations: la diaspora et la peinture»: bagages artistiques

Relations : la diaspora et la peinture
«Relations: la diaspora et la peinture» à la fondation Phi Photo: Collaboration spéciale

La vingtaine de peintres rassemblés dans l’exposition collective Relations: la diaspora et la peinture ont tous au moins un point en commun: ils portent dans leur bagage la mémoire et l’héritage d’un autre pays que celui qu’ils habitent. Leurs expériences multiples et variées de la diaspora se transposent dans la cinquantaine d’œuvres qu’a sélectionnée la commissaire de la Fondation Phi Cheryl Sim.

Le thème de cette expo est cher à la directrice générale de l’établissement du Vieux-Montréal. Elle-même est artiste visuelle et est née au Canada de parents immigrants. «C’est vraiment personnel, c’est un intérêt de recherche que j’ai depuis 30 ans», confie-t-elle.

«Qu’est-ce que c’est d’être autant immergé dans ma culture occidentale, canadienne, montréalaise et québécoise, mais aussi, simultanément, de rechercher mes origines ethniques philippines et chinoises? C’est un peu particulier», médite-t-elle à voix haute.

Sans fournir de réponses à ces questions, Relations nourrit la réflexion et encourage le dialogue artistique sur les expériences de la diaspora, notamment sur les notions d’identité, d’héritage et d’appartenance. «Il y a tellement de questions fascinantes là-dedans! s’enthousiasme la commissaire. Et les réflexions des artistes sont super riches.»

Ceux-ci ne créent pas en ayant forcément ces questionnements à l’esprit, mais leurs préoccupations intrinsèques se reflètent néanmoins dans leurs œuvres.

Parmi les tableaux exposés, quelques-uns sont fortement politisés, d’autres sont très conceptuels, mais tous ont été conçus en puisant dans le bagage et la somme des expériences des artistes.

Au fil du parcours décliné sur cinq étages dans l’édifice principal de la Fondation Phi ainsi que dans la grande salle d’un bâtiment voisin, certains thèmes sont récurrents. Parmi eux: la migration, le colonialisme, les mythes, la tradition, le déracinement, la marginalité, le deuil, la guérison, le racisme, la fierté, la beauté et l’Histoire.

Ces enjeux sont souvent déclinés sous forme de portraits, ce qui traduit un besoin de représentation. «Quand on n’a eu accès qu’à des tableaux européens, par exemple, on se demande: où est-on?», souligne la commissaire.

Les paysages sont aussi très présents, évoquant parfois le territoire d’accueil ou celui d’origine, comme dans les immenses fresques bleutées de Rick Leong, artiste canadien d’origine chinoise.

Des peintres de plusieurs générations se côtoient dans l’exposition. Certains sont plus âgés, comme Yoko Ono et Frank Bowing, d’autres sont plus jeunes, dont Jordan Nassar et Rajni Perera. Il s’agit d’un choix conscient de la commissaire, qui souhaite établir un dialogue intergénérationnel entre les  tableaux.

La somme de ces œuvres picturales transmet une pluralité de visions de l’expérience de la diaspora, un mot «complexe et insaisissable», souligne Cheryl Sim. «Les artistes ont une multiplicité de façons d’exprimer ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils recherchent… Au final, ça marche bien ensemble.»

Chiromancie et héritage

Prenons la série Chiromancie #9 de Moridja Kitenge Banza, dont deux œuvres font partie de l’exposition. À première vue, ces tableaux hypnotisants aux lignes multicolores et arrondies sur fond blanc ne semblent pas porter de message précis.

En entrevue, le peintre montréalais originaire de la République Démocratique du Congo explique que chacune des toiles de cette série, produites sur du papier mylar, traditionnellement employé pour créer des cartes géographiques, représente la carte de ses identités en mouvement.

La chiromancie est l’étude des lignes de la main. Justement, l’artiste a entamé ses créations en traçant les trois lignes principales du centre de sa paume. «Ces trois lignes sont pour moi comme une base qui me permet de me rappeler qui je suis, d’où je viens. Avec ce travail, j’étudie mon passé, mon présent et mon futur de manière poétique», décrit-il face à une de ses œuvres.

Les différentes couleurs de ses lignes représentent les différentes facettes de son identité, qui cohabitent et sont perpétuellement en mouvement. «Mises ensemble, ces identités forment la personne que je suis aujourd’hui. Quand j’ai commencé, l’idée n’était pas d’arriver à une forme, mais de mélanger ces lignes.»

«La diaspora offre des regards multiples sur le monde. C’est un point de départ très riche artistiquement. L’exposition souligne très bien cette pluralité. elle est extrêmement complexe, parce qu’il y a beaucoup de choses qui se disent, qui s’entrecoupent et qui se contredisent.» Manuel Mathieu, peintre

Au final, l’artiste souhaite transmettre son expérience personnelle. C’est également le cas de Manuel Mathieu, dont quelques tableaux sont exposés dans le deuxième édifice du musée. Dans un habile mélange de textures et de couleurs pastel et terreuses, le peintre montréalais né en Haïti évoque la vitalité de son pays d’origine, mais aussi ses traumatismes.

L’artiste ne réfléchit pas consciemment à ces enjeux lorsqu’il peint, mais ils font partie de son bagage. «Quand je peins certains sujets liés à mon pays, à ma culture, je parle d’un certain héritage, d’histoires qui ont forgé ma sensibilité, détaille-t-il. Il y a ces thématiques, mais j’ai autre chose dans ma tête et dans mon cœur quand je crée; je ne pense pas à mon identité.»

Bien qu’il soit tout à fait normal de contextualiser le contenu de l’exposition – «Je sais que c’est votre travail comme journaliste. C’est un beau challenge pour vous, il y a beaucoup de couches à peler!», dit-il –, la meilleure façon d’aborder cette exposition collective selon lui est de tout simplement partir des œuvres, sans chercher à leur trouver un sens a priori.

«J’essaie de prendre ce qu’il y a dans les œuvres et de tirer mes conclusions à partir de ça. Ça force à passer plus de temps avec elles. Après, bien sûr, la commissaire et l’institution doivent décrire leur démarche pour que le public sache à quoi s’attendre: ce ne sont pas des images de pizza, de dauphins et de baleines!» lance-t-il en riant.

Les propos de Manuel Mathieu font écho à la façon dont Cheryl Sim envisage son travail. En créant des expositions, elle veut permettre aux artistes de se raconter. «Tout est dans l’optique du partage. On a besoin que le public soit à l’aise de recevoir les œuvres et d’en livrer sa propre lecture sans qu’on lui dise quoi penser, quoi ressentir», dit-elle.


Relations: la diaspora et la peinture

Jusqu’au 29 novembre à la Fondation Phi

Gratuit, mais il est recommandé de réserver à l’avance étant donné le nombre de visiteurs limité

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