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L’improbable best-seller «L’Evangile des anguilles», ou la mondialisation du livre

L’improbable best-seller «L’Evangile des anguilles», ou la mondialisation du livre
«L’Evangile des anguilles» de Patrick Svensson sortira au Canada le 3 février 2021 Photo: Collaboration spéciale Seuil

C’était un récit sans prétention, écrit par un modeste journaliste, sur les mystères de l’anguille, espèce insaisissable de poisson aujourd’hui menacée. C’est devenu un succès dans de nombreux pays qui illustre la mondialisation du livre.

L’Evangile des anguilles de Patrik Svensson, reporter culture du journal régional de Malmö (Suède), Sydsvenskan, sortira au Canada le 3 février. L’éditeur, le Seuil, écrit sur la couverture: «Best-seller international», après de bonnes ventes dans d’autres pays.

«C’était un candidat improbable à un tel succès», selon sa traductrice franco-suédoise Anna Gibson.

Pierre Demarty, éditeur de littérature étrangère qui a acheté les droits pour les éditions du Seuil, décrit «un mélange inattendu, autour d’un sujet parfaitement mystérieux: cet animal qu’on connaît peu. Il ouvre vers des considérations loin de ce sujet de départ. Et le récit fonctionne, avec une grande harmonie».

L’auteur avait la quarantaine passée, en 2017, quand il s’est lancé dans ce premier livre, qui avait longuement mûri en lui. Il y a consacré moins de six mois, ce qui est très peu pour un livre qui balaie plus de 23 siècles de zoologie, d’Aristote à nos jours.

«Un petit livre obscur»

«L’idée vient de mon enfance, de ces moments où je pêchais avec mon père, de nuit (…) J’en ai gardé cette fascination pour l’anguille. Et j’avais l’ambition d’écrire un livre de vulgarisation scientifique, qui évoque les traditions, les mythes» autour de cet animal, se souvient-il, interrogé par l’AFP.

«C’était aussi une façon de me souvenir de mon père » emporté par un cancer en 2008. « Je suis allé assez vite pour écrire la majeure partie du livre. Je me suis discipliné, j’étais passionné par ce travail».

Le récit ne parle pas que de ce poisson qui n’a pas une excellente réputation, et dont le cycle de vie recèle beaucoup de mystères: il évoque la relation entre un père prolétaire et un fils qui accède à une profession intellectuelle.

Patrik Svensson transmet le manuscrit à l’éditeur le plus prestigieux du pays, Albert Bonniers, qui est enthousiaste. Celui-ci travaille longuement avec l’auteur pour peaufiner le texte: «Pour moi ça a vraiment été un travail collectif», estime-t-il.

L’ouvrage paraît en juillet 2019 et, tout de suite, le bouche à oreille fonctionne. Le couronnement vient en novembre avec le prix August de l’essai, récompense littéraire la plus élevée en Suède pour un livre de ce type. «Je dois avouer que ça a été une surprise. Je croyais avoir écrit un petit livre obscur, de niche».

Patrik Svensson a pu compter sur la force de persuasion d’Albert Bonniers, qui le fait traduire en anglais avant même la parution en suédois, et le présente à ses homologues à la Foire du livre de Londres en avril 2019.

«Drôle de tonalité»

C’est là que Pierre Demarty, du Seuil, le reçoit: «On me dit: je t’envoie ça mais c’est pas vraiment pour toi, c’est pas un roman (…). Il n’y avait rien pour m’accrocher véritablement. Je trouvais le titre bizarre. Je lis de grands extraits, très vite, et je suis pris, harponné par le sujet, par la drôle de tonalité du livre».

«Le moment où j’ai su que je le publierais, c’est quand il raconte les débuts de Freud dans la science, où il dissèque des centaines d’anguilles à Trieste», ajoute l’éditeur français. Il remporte les enchères.

D’autres de ses homologues lui ont confié la même histoire, maintenant que L’Evangile des anguilles est paru dans 30 pays, du japonais au portugais en passant par le finnois ou le tchèque. Il a par exemple le luxe de deux traductions en anglais, avec deux titres différents, l’une pour l’Amérique du Nord, l’autre pour la Grande-Bretagne.

Le magazine Time en a fait un de ses 100 livres à lire en 2020. The Guardian en a écrit une longue critique en août.

«Quand on écrit son premier livre, on ne peut pas s’imaginer ça. Cela reste un livre sur mon père, un homme ordinaire, avec une vie de famille paisible, qui n’aurait jamais pensé qu’un livre serait écrit à son sujet», souligne Patrik Svensson.

Anna Gibson, la traductrice, se dit elle aussi surprise qu’un livre «très suédois» parle à autant de lecteurs. «Il raconte aussi une partie de l’histoire de la Suède, ce voyage social d’un enfant de prolétaires, avec un art merveilleux d’exprimer une émotion contenue. Et cette fluidité, ce naturel, n’étaient pas faciles à restituer».

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