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La machine à danser de Jérôme Minière et de Herri Kopter

Photo: Yves Provencher/Métro

Herri Kopter, l’alter ego de Jérôme Minière, est de retour avec un album pour faire danser les gens… et un peu pour les faire réfléchir à leur rapport aux machines.

Pour Jérôme Minière, l’an 2000 est arrivé… en 2008. C’est-à-dire quand un ami lui a montré, sur son iPhone, l’application Shazam – qui permet à l’utilisateur de trouver le titre d’une chanson qui est en train de jouer. «J’étais épaté; c’est là que j’ai constaté qu’on avait véritablement changé d’époque, se souvient le musicien. Et en pensant à tout ça, je me suis rendu compte que si, dans les années 1960, les rockstars, c’étaient les Beatles, par exemple, ces jours-ci, les vraies vedettes, ce sont le boss de Facebook, celui d’Apple… Il y a eu des grands artistes, bien sûr, mais ils ne marqueront pas autant que Jobs ou Zuckerberg.»

C’est entre autres de ce processus de réflexion qu’est venue l’idée de ressusciter son alter ego Herri Kopter, créé en 2001 avec l’opus du même nom, qui avait disparu des radars depuis un album live en 2005, juste après s’être intéressé à l’économie de marché avec Chez Herri Kopter, en 2004. Et qui, sur Jérôme Minière danse avec Herri Kopter, se penche plutôt sur les machines.

«À chaque nouvel opus, je me dis qu’il faut que ça soit le sujet ambiant, qui est partout et qui est tellement là, dans notre face, qu’on n’arrive pas à en traiter parce qu’on est dedans, explique le musicien. Et les machines, c’est d’autant plus flagrant, parce qu’on est tellement en osmose avec elles… En 15 ans, c’est le jour et la nuit.»

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D’ailleurs, Quelque chose de rectangulaire, la seule chanson à proprement parler de l’album – qui, autrement, fait plus dans l’électro instrumental –, lui a été inspirée par ce changement draconien de la réalité. «Lève la tête au lieu de t’oublier dans quelque chose de rectangulaire», y chante-t-il entre autres. «J’étais dans un lancement, et tout le monde avait son iPhone et était concentré dessus, décrit-il. Et il y a plein d’autres exemples, comme le nombre de gens qui avaient leur téléphone braqué sur le nouveau pape quand il a été annoncé, contrairement à deux ou trois la dernière fois…»

Il ne faudrait toutefois pas s’imaginer que Minière – ou Herri Kopter – se fait moralisateur sur son album. Bien au contraire : «C’est un disque sur les machines, mais je trouvais sympathique que ce ne soit pas pesant. C’est esquissé un peu dans les paroles, mais on peut très bien l’écouter sans se concentrer là-dessus, fait valoir l’artiste. C’est un plaisir que je me suis fait et que j’ai envie de partager, sans trop me prendre la tête. Le disque était d’abord censé être un projet de musique ambiante expérimentale, c’est passé par plein d’étapes [on y reviendra d’ailleurs dans l’encadré La fiction dépasse la musique], mais ç’a muté vers quelque chose d’autre.»

Une chanson rescapée de ce précédent projet expérimental : la reprise d’Elvire, d’Alain Bashung, qui est la seule reprise du disque, même si le musicien avait d’abord souhaité faire plusieurs relectures de chansons dont les voix seraient générées par un programme informatique (la voix du traducteur de Google, par exemple). Une pièce fort à propos (Mais saura-t-elle / Ce que j’éprouve / À séjourner au sein d’un logiciel…) dont le texte est déclamé par des voix d’ordinateur féminine et masculine, sans émotion. «Mais une voix reste une voix. Et quand j’ai mis la musique, j’ai trouvé ça très touchant sans savoir pourquoi, avoue Minière. Ça m’a troublé, en fait, un peu comme la voix dans 2001 Space Odyssey. C’est robotique, mais la voix parle de sentiments et dit qu’elle est enfermée dans un logiciel… Elle prononce des mots écrits par quelqu’un qui est maintenant décédé. Très troublant!»

Outre les voix d’ordinateur (et les voix des deux enfants de Jérôme sur la dernière pièce), on entend celles – en anglais – de Frannie Holder (de Random Recipe), d’Ariane Bisson McLernon (d’Alice & the Intellects) et de Dawn Cumberbatch, qui ont toutes coécrit les mots qu’elles chantent. «Sinon, j’ai tout fait tout seul, j’ai même mixé, note le chanteur. C’est pour ça que, pour mon prochain projet de disque de chansons, je voudrais changer mes routines, faire quelque chose d’encore plus collectif, aller plus loin avec d’autres artistes. Pour le spectacle du disque Le vrai le faux, on était un band très solide, et ça m’a donné envie de travailler les chansons avec les musiciens au lieu de l’ordinateur.» Comme quoi la machine n’a peut-être pas encore tout à fait triomphé…

La fiction dépasse la musique
Les fans de la première heure de Herri Kopter, qui ont été habitués à de gros livrets pleins d’histoires farfelues dans les CD précédents, s’étonneront peut-être de ne trouver qu’une pochette en carton avec un seul texte, qui relate avec humour les envois insistants par pigeons voyageurs de Herri Kopter à Jérôme, pour convaincre ce dernier de prendre part à son projet. Manque d’inspiration? Ça serait plutôt le contraire, confie le principal intéressé.

«Il y a un an environ, je m’enlignais vers un livre-disque, explique Minière. Et ce dont je me suis aperçu avec les mois, c’est que je n’arriverais pas à finir en même temps les deux projets. La musique était plus avancée que le projet écrit, qui, lui, devenait toujours plus autonome. Donc l’été dernier, j’ai décidé de les séparer complètement.»

La partie «fiction» du projet était effectivement pour le moins ambitieuse, et toujours en lien avec l’idée des machines. «En faisant des recherches sur les machines, j’ai songé au fait que la technologie d’aujourd’hui a commencé avec le premier outil, une roche, un morceau de bois, dit-il. Ce qui me ramenait au moment où j’ai commencé à faire de l’électro, il y a plus de 15 ans, et que je me suis dit qu’au fond, la musique électronique, ça pourrait être fait avec des morceaux de bois et des pierres! Ce sont des patterns, des structures répétitives, ça ressemble presque à des musiques de tribus africaines… mais avec d’autres instruments.»

Dans le même ordre d’idée, il y a trois ans, en entendant les harmonies vocales de chanteurs sardes – des chants païens pré­chrétiens –, Minière s’est mis à réfléchir sur ce que serait la musique folklorique de nos jours. «Dans un village tu chantes la pluie, le soleil, la montagne, la vache… Mais ça serait quoi pour les machines? s’interroge-t-il. Donc au départ, l’idée était de faire un faux disque folklorique. Mais c’est davantage un concept littéraire, ça ne tenait pas dans un livret. C’est pour ça que c’est possible que je sorte quelque chose d’écrit durant l’année qui vient, un roman, des nouvelles… Les chroniques du village de Machine! Mais est-ce que je vais y arriver? Je ne le sais pas encore.»

Chose certaine, on gardera l’œil ouvert!

Jérôme Minière danse avec Herri Kopter
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