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Michel Brault s’éteint à l’âge de 85 ans

Photo: La Presse Canadienne

MONTRÉAL – Le cinéma québécois a perdu samedi l’une de ses voix les plus originales avec la disparition de Michel Brault.

Seul cinéaste québécois à avoir obtenu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes, M. Brault est décédé à l’âge de 85 ans, succombant à une crise cardiaque alors qu’il se trouvait à Toronto.

M. Brault s’était déplacé à Toronto pour recevoir, samedi, un Prix d’excellence pour l’ensemble de ses réalisations de la part des organisateurs de Film North, un festival cinématographique créé en 2010 et tenu à Huntsville, à environ deux heures de route de Toronto. Le festival avait aussi prévu à son programme, en soirée, la diffusion d’un court métrage de M. Brault, «Geneviève», réalisé en 1964.

En entrevue avec La Presse Canadienne samedi soir, Lucy Wing, fondatrice et présidente directrice générale de l’événement, a expliqué que M. Brault est arrivé à l’aéroport international Pearson vers 12 h 30, en provenance de Montréal, accompagné de son fils Sylvain.

Selon Mme Wing, qui n’était pas de la délégation ayant accueilli M. Brault et son fils, c’est pendant le trajet vers Huntsville, en limousine, que M. Brault aurait commencé à se sentir mal, avant d’être victime d’une attaque cardiaque, environ une heure après son arrivée à Toronto. Le véhicule s’est alors arrêté dans le stationnement d’un complexe commercial, et malgré les efforts de plusieurs personnes, dont ceux d’une infirmière présente sur place et des ambulanciers, arrivés peu de temps après l’appel au 9-1-1, il n’a pas été possible de ranimer le fameux cinéaste.

Après avoir tenu une rencontre au sommet et consulté des spécialistes des gestions de crise, les organisateurs ont décidé de ne pas modifier la programmation de la soirée et annoncé que M. Brault était le récipiendaire du Prix d’excellence pour l’ensemble de ses réalisations. Selon Mme Wing, quelque 400 personnes, une salle comble, ont assisté à la représentation.

Cinéma Vérité

Avec, entre autres, son compère Pierre Perreault, Michel Brault avait inventé un nouveau langage cinématographique qui a fait école: le cinéma-vérité. Les deux ont d’ailleurs signé un film qui a fait date dans la matière: «Pour la suite du monde». Le film avait d’ailleurs été en nomination pour une Palme d’Or à Cannes en 1963. Les deux hommes unirent leurs efforts pour réaliser deux autres documentaires, «Un Pays sans bon sens» en 1970, et «L’Acadie… l’Acadie» en 1971.

En 2004, dans une entrevue qu’il accordait au site «Nouvelles vues sur le cinéma québécois», Brault se rappelait, non sans émotion, le plaisir qu’il avait eu pendant le tournage de «Pour la suite du monde». «Pour moi c’était un émerveillement de découvrir ce pays, et je me suis lancé dans cette aventure grâce à l’enthousiasme qui me poussait à découvrir les gens de l’Isle-aux-Coudres. Je trouvais que c’était un peuple héroïque, dont j’avais envie de parler. Et c’est ce qui m’a nourri, et ce qui m’a permis de faire ce film.»

Né à Montréal le 25 juin 1928, Michel Brault fait ses premières armes à la caméra et aux éclairages au sein de l’Office national du film, avant même que l’agence fédérale n’ouvre une section française. Il a grandement contribué à l’essor du cinéma québécois.

En 1958, il avait cosigné «Les Raquetteurs», première tentative de documentaire où la camera et le micro sont placés au sein même de la réalité qu’ils objectivent sans parti pris. En fait, le parti pris était de laisser les gens filmés se raconter eux-mêmes.

Il se tourne vers la fiction dès 1964 alors qu’il réalise un court métrage «Geneviève» mettant en vedette une actrice avec laquelle il tournera à plusieurs reprises, Geneviève Bujold. Trois ans plus tard, il s’inspire d’ailleurs de la vie du chanteur de Claude Gauthier pour tourner «Entre la mer et l’eau douce».

En 1974, il signe son chef-d’oeuvre, «Les Ordres», un pamphlet contre l’arbitraire de la Loi des mesures de guerre qui a permis l’arrestation et la détention de plus de 400 personnes au cours de la Crise d’octobre de 1970. Film en noir et blanc et en couleurs, le film montre les déboires de cinq personnes qui se font emprisonner sans qu’elles ne sachent de quoi elles sont accusées. Brault obtiendra le prix de la Mise en scène à Cannes, l’année suivante.

«Selon moi, ‘Les Ordres’ est le meilleur film canadien de tous les temps. Salut Michel Brault», a publié le scénariste Pascal Lavoie, qui a notamment collaboré aux émissions «Les Parent» et «Un gars, une fille», sur son compte Twitter.

En 1990, «Les Noces de papier», un film tourné pour la télévision racontant l’histoire d’une femme acceptant de contacter un mariage de convenance avec un immigré, ajoutent à sa renommée internationale. Ce film lui permet d’être en nomination pour un Ours d’or au Festival de Berlin et d’enlever le prix du meilleur réalisateur au Festival des Flandres.

Son dernier film «Quand je serai parti… vous vivrez encore» sur la Rébellion de 1837 sera un échec financier et critique.

Au Québec, il est récompensé à divers reprises pour l’ensemble de son oeuvre. Il obtient le prix Albert-Tessier en 1986 et est nommé Officier à l’Ordre national du Québec en 2003. Deux ans plus tard, il recevait le prix hommage lors du gala des Jutras.

Il a aussi collaboré avec d’autres grands du documentaire comme Jean Rouch, Mario Ruspoli et William Klein. D’ailleurs, dès 1963, Rouch lui avait rendu hommage dans la célèbre revue «Les Cahiers du Cinéma» où il écrit que c’est le cinéaste québécois qui avait apporté une technique nouvelle de tournage que les Européens ne connaissaient pas et qu’ils copiaient tous depuis. «D’ailleurs, vraiment, on a la ‘brauchite’, ça, c’est sûr; même les gens qui considèrent que Brault est un emmerdeur ou qui étaient jaloux sont forcés de le reconnaître.»

Il a aussi collaboré avec d’autres grands cinéastes québécois à titre de directeur de la photographie. À ce titre, on retrouve son nom au générique de «Les Bons Débarras» de Francis Mankiewicz, «Mourir à tue-tête» d’Anne Claire Poirier, «Kamouraska» et «Mon Oncle Antoine», tous deux de Claude Jutra.

Autres réactions

C’est vers 14 h 15, samedi, que la nouvelle du décès de M. Brault a commencé à se répandre, par l’entremise du cinéaste Claude Fournier.

«Justement la triste nouvelle que je ne voulais pas entendre, notre vieil ami Michel Brault n’est plus avec nous. Je pleure», a écrit M. Fournier, sur son compte Twitter.

M. Fournier est plus tard revenu à la charge avec un gazouillis qui faisait référence au dossier de l’heure au Québec.

«Michel Brault qui s’en va aujourd’hui. La charte des valeurs, cette nuit, n’a pas grande importance. Je pense à lui, un ami de 60 ans.»

Les hommages se sont d’ailleurs multipliés sur le réseau social, alors que des cinéphiles partageaient des liens pour revoir les films et lire des entrevues réalisées avec le célèbre cinéaste.

Quelques figures du milieu culturel lui ont rendu un bref hommage sur leur compte personnel.

Émue, l’animatrice Marie-France Bazzo a écrit: «Larmes aux yeux. Un grand du cinéma québécois n’est plus. Allez filmer l’infini, Michel Brault.»

Daniel Roby, le réalisateur de «Louis Cyr: l’homme le plus fort du monde», a écrit: «Décès de Michel Brault!! Triste jour. Un grand cinéaste, une idole pour moi. Homme derrière LE meilleur film qc de tous les temps #LesOrdres»

«Cher Michel Brault. On s’est parlé assez souvent de ce moment de partir. Mais on n’y tenait pas du tout. Nous aimions vivre, apprendre!», a publié Claude Fournier, qui affirme avoir appris la caméra avec M. Brault.

Le chanteur et réalisateur Dan Bigras a eu besoin de peu de mots: «RIP. Il nous a tout montré.»

L’actrice Louise Latraverse a aussi exprimé à ses quelque 11 000 abonnés sa «peine immense» face à la mort du réalisateur, et le comédien Rémi-Pierre Paquin a évoqué de bons souvenirs du tournage de «Quand je serai parti vous vivrez encore».

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