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Jean Désy: écrire avec soin

Photo: Isabelle Duval/collaboration spéciale

Docteur, auteur et enseignant, Jean Désy éprouve une passion égale pour les mots et la médecine. «La poésie, ce n’est pas juste une affaire de fous faite pour trois ou quatre maniaques de littérature! Si le monde au pouvoir arrêtait d’appeler les bâtisses “CHSLD 2842322”, peut-être qu’il y aurait un peu plus d’humanité dans leur patente!» s’exclame-t-il en éclatant de rire.

Dans la bibliothèque de Jean Désy, on trouve Saint-Denys Garneau, Shakespeare, Goethe, Dostoïevski… Dans son nouveau livre à lui, L’accoucheur en cuissardes, on trouve une série d’histoires vécues, allant du rigolo au dramatique. Ces anecdotes sont comme des tableaux dans lesquels le docteur-poète retrace son parcours de soignant, marqué par la pratique sur la Côte-Nord, qu’il adore, à Québec, où il enseigne, et au Nunavik, où il découvre «plusieurs raisons de survivre et de vivre»…

Dans ce livre, les fous rires côtoient la tristesse, certes, mais aussi la colère. La colère plutôt marrante d’un de vos résidents un peu étrange, celle, plus tragique, d’une mère qui refuse de voir son nouveau-né… Est-ce une émotion que vous avez dû apprendre à apprivoiser? Que l’écriture vous a aidé à apprivoiser? Ou que l’on n’apprivoise jamais totalement?
L’écriture, c’est probablement une façon d’exorciser une partie du mal que je continue à côtoyer… Je ne suis pas un résilient, moi. J’ai vécu une vie honnête, tranquille, jusqu’à la fin de mes études. Je ne suis pas certain que j’étais préparé à faire face à la misère humaine. J’en avais pris conscience un peu. Grâce à la littérature. Mais j’ai eu un contact plus direct, plus brutal, avec la vie humaine une fois que je me suis mis à pratiquer la médecine. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi… sérieux. Probablement que ça doit jouer dans cette espèce d’immense volonté – c’est plus qu’un intérêt simple – de mettre tant d’énergie dans la littérature.

Vous l’écrivez d’ailleurs: «Il n’y a peut-être que l’amour et la parole d’amour qui peuvent mettre un baume sur une âme meurtrie.»
Entendu comme ça, ça fait un peu bizarre! J’ai l’impression que ça fait quasiment cliché! En même temps, ça s’intègre dans le cœur de ce que j’ai écrit. Je ne pense pas qu’on puisse soigner qui que ce soit avec qualité si ce n’est pas fait avec amour… Enfin, «amour», c’est un mot un peu problématique en français. Parce qu’on peut aimer son char, comme on peut aimer son arbre, comme on peut aimer son chien. C’est tannant! Disons plutôt soigner avec délicatesse, ou tendresse, ou affection.

Il y a beaucoup de «franche rigolade» dans vos textes. Vous écrivez que «l’humour constitue une protection contre les aléas de la vie, les souffrances comme les chutes.» Les chutes de vos histoires, d’ailleurs, vous les soignez beaucoup, n’est-ce pas?
Ah! Ça fait partie du jeu – entre guillemets – de la littérature! En écrivant, on essaye de peaufiner les choses pour que le lecteur y trouve son compte. J’ai écrit plusieurs recueils de textes d’inspiration médicale et nordique, mais pour la première fois, j’ai mis plus de réflexion personnelle sur les soins, la médecine, le rapport à l’affection, à la confiance. L’humour, c’est un moyen que j’aime profondément. J’ai eu la chance, toute ma vie, d’être en contact avec des autochtones. Ils sont drôles! Drôles! Drôles! C’est anthropologique, compliqué, et je n’ai pas fait d’études là-dessus, mais j’ose penser qu’une partie de notre humour, qui n’est ni français, ni américain, ni anglais, ni russe, est associée à ce vieil humour millénaire extraordinaire des Indiens.

On retrouve dans votre livre des mots en inuktitut, ainsi que des expressions teintées d’acadien de la Côte-Nord, comme «poursils», «bouscueils», «en slochant»… Pour ajouter une touche de cette poésie que vous aimez tant?
Oui… En même temps, c’est un trésor d’avoir au Québec des langues autres que l’anglais ou le français qui enrichissent le patrimoine. L’inuktitut, moi, je ne le parle pas, je connais quelques mots, mais c’est une langue immensément riche. C’est intéressant, l’anglais et le mandarin, même la planète Mars les parle maintenant, mais l’innu et l’inuktitut, ça existe!

«Dire “un soignant”, c’est plus poétique! Et c’est plus vaste qu’un médecin. Tout le monde n’est pas médecin. Mais tout le monde est un jour le soignant et le soigné de quelqu’un. Le pire de tout, ce sont des mots comme “client” ou “usager”. Ça, c’est quand t’as été tellement soigné que tu deviens usagé!» – Jean Désy, qui aime bien mieux dire «soignant-soigné» que «médecin-patient» ou, pire, «médecin-client».

Votre rythme d’écriture semble changer selon les situations que vous décrivez. Dans les premiers chapitres, sur vos années d’apprentissage, on sent votre stress d’alors. Il y a plus de questions, de phrases courtes, rapides. Plus loin, on trouve peut-être davantage de sérénité. En écrivant ces histoires, est-ce que vous vous replongiez dans l’état où vous étiez au moment de soigner?
Peut-être… j’ai rarement réfléchi à cette forme qui dépendait des moments où je me trouvais. Ce sont mes étudiants qui m’ont invité à parler de mes histoires parce qu’ils trouvaient ça drôle! Peut-être que, sans m’en rendre compte, cette nervosité inhérente à mes premières années de pratique s’est transposée d’une façon littéraire particulière. Et peut-être qu’il y a des moments plus sereins, où on vieillit…

En parlant du Grand Nord, que vous adorez, vous racontez les grands espaces, les distances à parcourir, les îles formant l’archipel de la Minganie où vous dites «vivre une liberté. Une grande liberté». Est-ce que vous trouvez aussi ce grand espace et cette liberté dans l’écriture?
En fait, si je voulais aller vite, je dirais oui, oui, oui! (Rires) Je suis convaincu de la nécessité des arts. La littérature permet aux humains de voyager. Elle leur donne la possibilité de vagabonder et d’être en état de nomadisme mental. C’est essentiel. Jamais je ne nierais ça. Mon activité première en ville depuis des années, c’est de m’adonner à l’écriture, à l’enseignement et à la poésie. Mais ce n’est pas une fin en soi. En fait, il n’y a rien qui est vraiment une fin en soi. Les textes religieux sont essentiels, la poésie l’est parfois, les activités littéraires le sont aussi. Mais ne pas écrire, ne pas parler et juste faire du ski de fond pendant quatre heures à -30°C, c’est aussi valable. Juste faire du ski de fond toute l’année sans parler, ça, ça finit par être tannant! (Rires)

Jean Désy LivreL’accoucheur en cuissardes
Aux éditions XYZ
En librairie

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