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Papa est là : incompréhensible absence

Photo: Thomas Königsthal Jr.

«Soudain ton enfant n’est plus à tes côtés. Et tu ne comprends pas pourquoi. Tu ne comprends pas comment.» Dans Papa est là, la réalisatrice québécoise Johane Bergeron explore la question, inextricable et complexe, de l’enlèvement parental.

Le fils de Thomas avait 15 mois quand il a été emmené par sa mère au Mexique. Soi-disant pour des vacances. En réalité, pour ne plus jamais revenir.

C’était en 2007. Aussi bien dire il y a une éternité. Depuis, il y a eu l’incompréhension, le désespoir, les batailles judiciaires, les voyages à l’étranger, la solitude. Et ce n’est toujours pas fini. Thomas, un photographe à l’imaginaire débordant, traverse encore le quotidien en rêvant de ce jour où il pourra enfin voir son fils autrement que par l’écran de son ordinateur, ou dans une pièce surveillée, durant une rencontre chronométrée. Pour que son fils ne l’oublie pas, il concocte des jeux, lui envoie des lettres de neuf pieds, lui confectionne des animaux, et des images à la mise en scène éclatée où il lui dit qu’il est présent, même de loin. «Papa est là. Papa t’aime.»

Pendant plusieurs années, la documentariste Johane Bergeron a suivi cet artiste dans sa quête, inachevée, pour revoir son garçon. Une quête qui coïncide, en filigrane, avec celle pour retrouver sa créativité qui est «complètement morte» le jour où il a su que la mère de son fils l’avait emmené loin de lui.

En racontant l’histoire de Thomas et de trois autres hommes ayant vécu l’enlèvement de leur enfant, la réalisatrice dresse le portrait de ces pères qui n’étaient pas dans une relation marquée par la violence conjugale. Qui ont obtenu la garde, mais ne sont pas arrivés à faire respecter les conditions. Qui se sont vus contraints de vivre la paternité sporadiquement, virtuellement, de loin.

Une des phrases qui frappe dans le film, c’est lorsque Thomas, dont l’enfant a été enlevé, dit: «C’est tellement injuste. Pour lui.» Est-ce que ces paroles pourraient, selon vous, résumer une grande partie de ce problème? À savoir que l’injustice subie est encore plus grande pour l’enfant enlevé que pour le parent auquel on l’a pris?
En effet. J’ai d’ailleurs réalisé plusieurs entrevues – qui ne sont pas dans le film – avec des experts qui m’avaient été recommandés par l’organisme Enfant-Retour. Parmi eux, il y avait un psychiatre spécialisé en aliénation parentale qui m’avait dit qu’effectivement les adultes peuvent s’en sortir. Parce qu’ils ont les moyens de passer à travers cette peine. Parce que ce sont des adultes. Mais un enfant, non. C’est sûr que, pour un parent privé de son enfant, la souffrance est énorme. Mais si les parents ont des cicatrices, les enfants, eux, ont des séquelles. Plusieurs spécialistes disent même : on devrait appeler ça un enlèvement d’enfant.

Au fil du film, vous présentez des calculs qui révèlent la douleur de ces pères. «Thomas a fait 1 989 km de natation en pensant à son fils.» «Tony a passé 1095 nuits blanches avant de retrouver sa fille.» «Pierre a fait 175 allers-retours Montréal – Toronto.» Trouviez-vous que chiffrer les conséquences de l’enlèvement parental donnait encore plus de force au propos?
Je pense que oui. C’est difficile d’illustrer tout ça. Et effectivement, quand on se met à compter… Quand je rencontrais les pères, ils me montraient tous leurs piles de papiers d’avocat. C’étaient vraiment des piles de quatre pieds. Facile. Et Thomas n’arrêtait pas de me dire: je nage tous les jours, tant de kilomètres. On a accumulé l’information. Je me suis dit que ça parlerait aux gens, à leur imaginaire. Ce que j’ai observé aussi, c’est que, même s’ils n’ont pas vécu d’enlèvement, lorsqu’on parle de cette situation, beaucoup de personnes pensent à leur propre histoire ou à celle d’un proche. Ils pensent à une séparation, à un divorce difficile, à une aliénation parentale, à un parti pris. Ça fait écho de toutes sortes de façons. Donc oui, je pense que c’est une manière d’illustrer la situation de façon imagée. Et c’était vrai aussi.

«Mon sujet c’étaient les pères, leurs réactions, leur souffrance, leur enfant. Tout ce qu’ils faisaient pour pouvoir être avec lui. C’est ce qui m’intéressait.» – Johane Bergeron, documentariste

Est-ce que, avec ce film, vous avez également voulu rappeler à tous les pères qui ont la chance d’avoir leur enfant près d’eux d’en profiter pour passer du temps avec lui, pour s’amuser, pour en prendre soin? En effet, Thomas, qui ne cesse d’inventer des jeux à faire avec son fils à distance, affirme qu’il aura beau tout donner, il ne pourra jamais être le père qu’il voudrait être, virtuellement.
Exactement… Son garçon a eu 9 ans le 6 juin dernier, et il a été enlevé à 15 mois. Chaque anniversaire, chaque Noël, c’est une souffrance et une douleur. C’est pour ça que j’ai voulu montrer les saisons qui passent dans le film. Effectivement, il y a des limites à être un papa virtuel.

Malgré la tristesse du sujet, votre documentaire est esthétiquement soigné, original, lumineux. On voit par exemple le prénom du fils de Thomas, Diego, apparaitre à plusieurs reprises, écrit en pommes de pin, dans la neige, en jujubes. Avez-vous tiré cette inspiration visuelle des créations de votre protagoniste, de son caractère farceur, clown, coloré?
Oui! On a pigé dans toutes ses affaires! (Rires) Je ne voulais pas avoir de narration dans le film. Je trouvais que ça enlevait toute forme d’humanité. Je voulais vraiment laisser dès le début la place aux pères. J’avais un directeur photo extraordinaire, expérimenté, Alex Margineanu, capable de livrer de belles images esthétiques. Pas juste dans le rough. C’était déjà assez rough comme ça! Je voulais aller dans l’imaginaire, dans la poésie, dans la couleur, les textures. C’était important pour moi que le film ait une note d’espoir.

Papa est là
Sur les ondes de TV5
Mercredi à 22 h
En rediffusion jeudi à 14 h

Les protagonistes

Dans Papa est là, Johane Bergeron présente quatre hommes ayant vécu l’enlèvement parental de façon très différente, révélant que ce problème méconnu est encore plus complexe qu’on le croit et que «chaque cas est unique». Parmi eux, il y a:

Thomas, le protagoniste principal. «Ce qui m’a étonnée avec lui, c’est tout son processus créatif qui venait équilibrer la peine, la souffrance.»
Pierre. «Ce qui m’a beaucoup frappée, c’est sa lucidité. Il était en colère, mais pas contre la mère. Il disait : je ne comprends pas pourquoi on fait ça à un enfant. Je veux juste le voir.»
Tony. «Tony parlait de la gorge tout le temps. Même s’il a retrouvé sa fille, il a encore une cicatrice profonde. Je crois que faire ce film a fait remonter les souvenirs à la surface.»
Ricardo. «Il était toujours très réservé. Il s’est retrouvé seul dans un nouveau pays…»

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